Être prof en école d’informatique

 

En 2015, peu de temps avant de sortir diplômé d’école d’ingénieur, j’écrivais l’article Mes années en école d’ingénieur : un bilan mitigé. Je revenais, avec un peu d’amertume, sur 3 années de formation de cycle ingénieur et faisait le bilan de tout ce qui, à mes yeux avait déconné au niveau pédagogique. J’y exposait notamment quelques problèmes qui font qu’un cours peut dérailler :

  • les profs qui ne sont pas bons,
  • les cours qui sont mal préparés et viennent avec un mauvais support de court (par exemple, des support de présentation) voire pas de support du tout,
  • les TP sans corrigé préparé à l’avance ou non prévu pour donner un feedback en temps réel du travail.

Alors oui, tout ceci demande du travail. Et d’ailleurs, une personne avait posté ce commentaire lapidaire dans lequel elle se plaignait, pour résumer que, prof, c’est pas assez payé pour y consacrer le temps qu’il faut y consacrer. La personne espérait d’ailleurs que je finisse par devenir prof pour me rendre compte du sacerdoce.

Hé bien il se trouve que, 7 ans plus tard, je me retrouve à etre prof en école d’informatique et que je ne changerais pas une ligne de cet article. Prendre conscience de la récurrence des situations de handicap dans lequel me plaçait mon trouble de l’attention avec hyperactivité m’a permis de me rendre compte que nombre d’intervenants prenaient leurs cours en école d’info un petit poil par-dessus la jambe. Et, parce que je considère qu’il n’est pas professionnel de bâcler son cours et de laisser à la traîne les personnes qui sont les moins adaptées à l’enseignement 8h/j en classe de 30, j’ai tenté de mettre en place des stratégies de pédagogie pour que mes étudiants et étudiantes assimilent au mieux ce que j’essaie de leur apprendre.

Alors bien sûr, tout n’est pas parfait dans ma pratique. Et je me doute que certaines personnes ressortiront de mes cours avec un dégoût pour ce que je leur ai enseigné. Je ne suis pas le prof idéal, évidemment. Mais, afin de minimiser ces situations, j’ai essayé de mettre en place des stratégies pédagogiques, que je vais détailler dans cet article.

La notation

Personnellement, je trouve que la notation est une méthode d’évaluation particulièrement inefficiente. Au mieux, elle ne fait que mesurer la capacité à passer des tests standardisés, parfois bien éloignée des compétences requises pour faire correctement son métier dans l’informatique, au pire elle produit des effets particulièrement graves sur l’apprentissage à cause des biais auxquels elle est soumise. Il y a bien sûr la constante macabre, qui est la tendance qu’on tous les européens (je ne sais pas si c’est pareil dans d’autres cultures) en situation d’enseignement de créer 3 groupes dans une classe : un groupe de mauvais, un groupe moyen et un groupe de très bons. Il y a aussi l’humeur, qui joue : un ou une enseignante qui a passé une mauvaise journée aura tendance à noter plus sévèrement. Et puis il y a les effets performatifs de la note. On sait que celle-ci agit comme une boucle de rétroaction : un ou une étudiante qui a une mauvaise note aura fortement tendance à se convaincre qu’elle est nulle dans telle matière et échouera beaucoup plus facilement à ses examens. La première note de l’année étant très fortement déterminante.

Cependant, les Écoles d’informatique francaises sont ce qu’elles sont et il n’y a aucun moyen pour moi d’échapper à exercice : je dois noter. Voici donc les stratégies que j’ai mises en place pour tenter de limiter les effets pervers de la notation.

 Et, en tout premier lieu, je privilégie les TP avec des mises en pratique qui favorisent un retour très rapide sur l’exercice. C’est évidemment facilité par la nature du cours : en informatique, ça marche ou ça marche pas, mais il est rare qu’on ne le sache pas immédiatement. Ainsi j’essaie de développer mes TP pour qu’il permettent de suivre la logique : « voici ce que vous devez faire, voici comment vous pouvez vérifier que ce que vous avez fait répond correctement à la question » et ce, à chaque étape de chaque TP. De cette manière, l’élève ne reste pas dans le flou jusqu’à la notation. Ça marche ou ça ne marche pas, mais ça permet de mesurer à peu près sa progression au fur et à mesure du cours.

Malheureusement, cette méthode n’est pas toujours possible à mettre en place. Il y a des cours pour lesquels je trouve le mode projet plus approprié, ce qui laisse plus de latitude aux élèves pour expérimenter, mais interdit totalement la mise en place d’un corrigé standardisé. Jusqu’à récemment, je ne savais pas encore comment remédier à cette situation. Mais une collègue m’a donné une astuce qu’elle utilise lors de ses formations avec des adultes : les personnes formées s’évaluent elles-mêmes en accord avec la formatrice à la suite d’une discussion sur les points forts et les points faibles du rendu. Et je trouve que c’est une excellente idée que j’ai décidé d’expérimenter cette année. On verra où ça me mène.

Les supports de cours

Comme je l’ai écrit en intro et dans le billet d’origine, les support de cours, c’est souvent le plus gros point faible des intervenants extérieurs. Lorsqu’il y en a, ils sont le plus souvent réduits à un pauvre PowerPoint (oui, souvent, c’est un support PowerPoint, en plus) mal rédigé.

Je ne répéterais jamais assez : un support de présentation, fait pour être projeté pendant un cours magistral ne peut pas constituer un cours écrit convenable. Losqu’il tente de l’être, il est trop verbeux pour un support projeté — ce qui en fait un mauvais support de présentation — et pas assez pour un cours écrit digne de ce nom. De fait, je fais les deux, lorsqu’il y a lieu mais le plus souvent, je n’écris pas de support projeté. J’écris un vrai cours, avec des vraies phrases, que j’écris pour que les élèves puissent s’en resservir plus tard, au début de leur carrière.

Mais un support de plusieurs pages avec un de longs paragraphes, c’est souvent peu pratique, dans les faits. Les miens font souvent 15, 20 pages car, même si j’essaie de rester simple, je ne peux souvent oas m’empêcher d’être exhaustifs. C’est pourquoi mon cours est conçu pour fonctionner avec les TP dans lesquels je fais régulièrement référence à des sections spécifique du cours.

Le déroulé du cours

En tant qu’étudiant, puis en tant que prof, j’ai pu observer une grande disparité dans les vitesses d’apprentissage. Ayant moi-même beaucoup de mal à suivre un cours magistral, j’ai tendance à privilégier les cours en autonomie et à faire peu voire pas de cours magistral. Du coup, le plus souvent, je n’ai pas besoin de faire de support de présentation.

Le plus souvent, je fais soit des TP en solo ou en binôme — chaque élève a le choix — soit des groupes de projet, suivant la pédagogie qui me paraît la plus adaptée pour ce que j’enseigne. Jusqu’ici, il me semble que c’est aussi la modalité qui plaît le plus aux élèves.

Il n’y a qu’un petit soucis que je n’ai pas encore trouvé comment résoudre : dans toutes les classes, il y a toujours 1 à 4 élèves qui a du mal à se mettre en groupe. C’est un invariant jusqu’ici. Lorsque j’applique une pédagogie projet en groupe, je sais que presque tous les groupes vont se former rapidement — sauf pour une classe qui vient de commencer sa première année et qui ne se connaît pas encore bien — et un dernier groupe qu’il va falloir forcer à se former. Et je n’ai pas encore trouvé comment remédier à ce problème.

Être bienveillant

Les élèves ont des handicaps. Et je ne parle pas de handicaps visibles, type cécité partielle ou handicap moteur. Je parle de handicaps invisibles. Les troubles « dys » : dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, dysorthographie, dysphasie, TDA/H, l’autisme, ou les handicaps environnementaux temporaires (situation familiale, sentimentale ou financière compliquée — ça m’est arrivé…) etc.

L’immense majorité ne vous en parlera jamais parce que, soyons honnêtes : combien d’entre vous connaissiez la dysphasie ? Ça demande souvent beaucoup de temps et d’énergie d’expliquer à chaque nouveau ou nouvelle intervenante ses handicaps spécifiques et leurs impacts. Et les profs changent presque chaque semaine. Et ça, c’est pour les élèves qui sont au courant de leur handicaps. Certains, certaines ne seront jamais diagnostiquées…

Alors quand je récupère un mauvais rendu, j’essaie de ne rien présumer concernant l’élève et je lui propose par mail de m’envoyer un nouveau rendu en lui indiquant les points faibles. On pourra me reprocher de leur donne la solution et que la note serait immeritée, mais je répondrais par une question : est-ce que notre métier consiste à sanctionner ou à apprendre ? Oui, quand je fais ça, je donne une partie de la solution. Mais au moins l’élève aura appris quelque chose ce qui est mieux que de lui mettre une mauvaise note et le ou la laisser dans l’ignorance.

La crise sanitaire

J’ai commencé à écrire cet article début 2020, bien avant la crise sanitaire. Et parmis les très nombreuses choses que cette crise a bouleversé, il y a, évidemment, l’enseignement. Et, alors qu’avant la crise, un grand nombre de startup se paluchaient sur les MOOCs et l’enseignement à distance, celle-ci m’a permis de vérifier ce dont j’avais l’intuition avant : l’enseignement à distance est une idée de merde dans la cadre d’une école.

Je ne parle pas ici de personnes installées dans leur profession et qui choisissent, ponctuellement de se former à distance sur un sujet précis — encore que ce n’est pas un mode d’apprentissage qui convienne à tout le monde ; ça ne me convient par exemple pas, avec mon TDA/H — je parle d’élèves que l’on oblige à suivre un cursus normé que tous les cours n’intéresseront pas

[1]

et qui doivent le faire 8h/j, 5j/7 pendant 1 à 3 ans.

Dans un cadre pareil, apprendre dans une salle de classe dans laquelle il est facile d’appeler à l’aide et de laisser le clavier, ce n’est pas pareil que d’apprendre isolé, face à son ordi, avec une connexion parfois aléatoire, souvent plusieurs canaux de communication ouvert et un environnement pas toujours adapté.

Et j’ai pu constater, entre les cours en salle et les cours à distance, le taux de question et la qualité des rendus chuter. J’ai plus souvent demandé à des élèves de me produire un nouveau rendu dans les classes dans lesquelles le cours avait eu lieu à distance qu’en salle. Et même si le cours a distance m’évite d’avoir à me lever à 6h20 pour prendre le bus, je préfère encore largement aller donner cours sur site.

Conclusion

Tout n’est pas parfait dans ma pratique de l’enseignement, loin de là. Il y a des cours pour lesquels j’ai franchement galéré. Je n’ai pas exemple pas trouvé de formule pour un cours d’Android satisfaisant dans les conditions qui m’ont été imposées — c’est-à-dire 4 jours seulement de cours — et qui ne soit pas trop difficile.

Et je pense que, dans toutes les techniques que j’ai mentionné, beaucoup de profs dont c’est l’unique métier en mettent la plupart en place aussi, au bout de quelques années de carrière.

Mais j’ai quand-même tenu à écrire cet article parce que, même si pour certains ou certaines, ces techniques peuvent sembler évidentes, ce n’est pas le cas pour toutes les personnes qui interviennent en école d’informatique, loin de là. Et ça me semble définitivement nécessaire de rappeler que, si vous n’êtes n’êtes pas prêts à vous investir correctement dans l’éducation de vos élèves, si vous ne voyez cette activité que comme un extra pour combler vos journées vides entre deux clients, vous ne devriez probablement pas enseigner.

Notes de bas de page :
  1. moi par exemple, les cours de management ou de gestion d’entreprise, je m’en battais les couilles, frère

Déjà un avis pertinent dans Être prof en école d’informatique :

  • fipaddict
    Mais pourquoi n’étais tu pas prof quand j’étais élève ? Merci pour celles et ceux qui croisent ta route aujourd’hui . Même si bien sûr, tout n’est probablement pas parfait.

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