Le sens du jeu

Je suis extrêmement bien dans mon entreprise actuelle, entouré de personnes que je respecte et apprécie beaucoup. L’ambiance est très décontractée, on s’entend tous bien, pas de tensions. Deux fois par an on se retrouve pour un séminaire d’une semaine. Un drame s’est produit en février où j’ai mis tout le monde mal à l’aise, moi le premier.

Sociable

Je ne suis pas sociable. Je ne m’en cache pas. Je préfère le silence au bruit, aux paroles, à la musique. Je ne bois pas (du tout d’alcool). Parler pour rien dire (le temps du jour, l’incompétence du gouvernement) ou faire acte de présence ne m’intéresse pas. Je pense « différemment », pas « mieux » que les autres, simplement j’ai compris et j’accepte ne pas avoir les mêmes idées que la majorité. Je suis un solitaire qui aime sa quiétude.

Pour autant je rigole avec tout le monde, je vanne plus vite que mon ombre, je suis un bon compagnon avec qui on se marre. Je sais être sociable mais je ne le suis pas.

Jouer

Pour moi jouer, c’est s’amuser. La logique d’un jeu est de gagner mais je joue pour m’amuser (pas pour gagner).

Mon fils a 5 ans, il triche, il est de mauvaise foi, il s’énerve parfois quand il perd. On le laisse gagner de temps en temps, on lui apprend « comment » jouer et je ne parle pas des règles du jeu… Mon quotidien de jeux est Mistigri, le jeu de l’oie, Puissance 4, le jeu des 7 familles. Il est évident que vouloir « gagner » contre un enfant de 5 ans n’a aucun sens. Je ne débute pas une partie de Puissance 4 en pensant à gagner mais en voulant partager un moment avec mon fils.

Le jeu auquel je joue le plus avec ma famille et mes amis est le Uno. Ma façon de jouer au Uno reflète ma façon de « penser le jeu ». Parfois on fait un coup de pute à son meilleur ami, on sauve quelqu’un, on ne pose pas un +4 à chérie. On s’amuse, on partage, gagner est un prétexte.

Le drame

Il y a des mécaniques dans les groupes qui se mettent en place « tout seul ». Nous avons sensiblement le même âge et pour faire quelque chose « ensemble », on s’est « naturellement » tourné vers les jeux de société : The Game, Skull, Carcassonne, 6 qui prend, Unlock, Kosmopolit, Time Bomb, Mito, Azul, Bang!, Colt Express, Citadelles, TTMC : Tu Te Mets Combien ?, Zombicide, Sheepzzz, Dracula Fiesta, Mascarade…

Je considère mes collègues comme des amis. Nous sommes 7. On se marre bien en jouant (même après ce drame).
On bosse en journée et le soir on joue ensemble. On joue plusieurs heures chaque soir les 5 jours.
Il faut apprendre les règles (parfois les retenir), il faut apprécier le jeu (qui peut être trop long, compliqué, chiant).
La logique est de gagner, le but être ensemble.
J’ai voulu faire partie du groupe, je n’ai pas su dire non, je n’ai pas fait attention que je me forçais à participer.

On lance une seconde partie de Bang!, j’ai « mal joué » à la première car je m’amusais à tirer sur une personne sur laquelle je ne devais pas tirer, les copains s’assurent que j’ai bien compris les règles.

« Bang! vous transporte dans l’univers impitoyable du Far West. Incarnez un shérif, un adjoint, un hors-la-loi ou un renégat. Chaque rôle a ses propres objectifs et ses conditions de victoire : le shérif doit survivre, l’adjoint l’aide, les hors-la-loi doivent tenter d’éliminer le shérif, le renégat doit vaincre tout le monde. Au début de la partie, seul le Shérif est connu de tous. Les autres joueurs gardent leurs rôles dissimulés et définis aléatoirement par un tirage au sort. »

On joue depuis 20 mn, je m’emmerde, je sais que je vais perdre vu mes points de vie restants et je suis le renégat. Je tue le shérif ce qui met fin à la partie. Personne ne comprend : « Mais t’es con ? », « pourquoi tu fais ça ? », « en fait t’es un troll ? ». Je m’attendais pas du tout à ces réactions, malaise total. Tout le monde me regarde, certains sont agacés, d’autres énervés, 2-3 me parlent en essayant de m’expliquer et/ou de comprendre.

Cette situation n’aurait jamais pu se produire avec ma famille ou mes amis car – comme une évidence – ce n’est qu’un jeu. On m’aurait insulté (« putain connard », « tu fais chier »), on se serait marré et puis on m’aurait balancé : « Si tu veux plus jouer, tu joues plus ». Ça aurait été oublié dans les deux minutes parce qu’à défaut que ce soit marrant, on s’en fout.

J’ai rien calculé, j’ai vu un coup sympa/marrant à jouer, j’ai cru qu’on s’amusait. La logique du jeu gagner était plus fort que son but premier s’amuser et je ne l’avais pas compris. J’étais gêné, mal à l’aise, je voyais tous les regards sur moi, des gens que j’apprécie énervés par ma faute. J’ai tenté de me défendre en expliquant que j’avais respecté les règles du jeu, dans Bang! il n’est pas interdit de tirer sur qui on veut, juste que la logique (pour gagner) est de tirer sur le camp adverse ou dans le but de gagner (pas de se marrer).

Au bout de 10 très longues minutes, nous sommes passés à autre chose. On m’a proposé de jouer une autre partie, j’ai dit non, je ne voulais pas gâcher leur plaisir, le jeu, l’ambiance. J’ai pris plus de plaisir à les regarder jouer qu’à jouer.

Jeux de société en société

J’ai été un connard même si je ne l’ai pas fait exprès. J’étais fatigué, j’en avais marre d’apprendre les règles du 3ème jeu différent de la soirée, je me suis forcé à participer, à faire partie du groupe, à être sociable. Surtout je n’ai pas discerné et compris qu’on ne jouait pas de la même manière : Jouer pour s’amuser, jouer pour gagner.

Définition Jeu de société : « La finalité de cette activité est le divertissement que les participants en retirent en essayant de remporter la partie. », plus loin : « On note une tendance récente, depuis les années 1990, à des jeux plus conviviaux dans lesquels le but essentiel est de créer une bonne ambiance. »

Je ne reproche rien du tout à mes collègues. J’aurais dû arrêter de jouer avant, j’aurais dû écouter mes envies et accepter mes différences. L’article Être se terminait ainsi : Confiance en soi > Estime de soi > Respect de soi > S’accepter > Être. Je n’ai pas eu assez confiance en moi pour dire non, je n’ai pas eu assez d’estime pour moi en m’effaçant afin de faire partie du groupe, je ne me suis pas respecté, je ne me suis pas accepté, j’ai fini par être un connard.

Souvent un groupe en voulant se montrer inclusif ne fait que renforcer et souligner les différences de chacun. Il ne faut pas vouloir que tout le monde participe, vouloir inclure tout le monde. Au contraire il faut respecter les différences, rythmes, envies de chacun.

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