Justice et réseaux sociaux

Dans le sillage de l’affaire Weinstein on a vu fleurir de nombreuses plaintes pour harcèlement sexuel et comportements sexistes. À l’heure des réseaux sociaux ces affaires font rapidement les gros titres. Le fond des affaires ne m’intéresse pas, la justice est là pour faire toute la lumière.

Je m’intéresse surtout à deux points : 1/ La « justice » sur les réseaux sociaux 2/ Les moyens qu’ont les accusés de se défendre devant le tribunal populaire

David contre Goliath

Next INpact a publié un article en accès libre sur Gad Elmaleh vs CopyComic que je vous invite à lire. Il est particulièrement parlant.

CopyComic Videos est une chaîne sur YouTube mettant en avant les plagiats (supposés) des humoristes/comiques : 1/ La (ou les) personne derrière CopyComic est anonyme, on ne sait pas qui c’est 2/ Cet anonyme ne monétise pas ses flux 3/ Il n’a aucun à propos sur sa chaîne 4/ Une vidéo coupée verticalement met en comparaison un sketch de la personne plagiée et un sketch du plagiaire. Il n’y aucune vraie critique des plagiats, « les images parlent d’elles-mêmes », la manière de présenter/dénoncer les plagiats est extrêmement neutre mettant au centre le jugement de chacun 5/ On ne connaît rien de ses (réelles) motivations : Justicier, passionné, dénonciateur, jaloux ?

Gad de son côté est : 1/ Un artiste connu et reconnu en France 2/ Il s’essaie à une carrière américaine depuis les années 2010 3/ Il est la star principale de la série Huge in France sur Netflix

David contre Goliath, l’inconnu armé de la vérité contre le méchant et puissant people. Le peuple adore ça.

Ego

Gad a l’argent, la notoriété, la reconnaissance, la réussite. Il aurait pu et dû mettre son ego de côté mais à l’heure des réseaux sociaux, l’enjeu est également la réputation, la popularité, la (bonne ou mauvaise) publicité. Gad est puissant, il attaque en justice CopyComic. Dire qu’aujourd’hui on est tous égaux devant la justice relève de la mauvaise blague. Nous sommes certes égaux en droits en revanche nous n’avons pas les mêmes moyens donc in fine pas les mêmes chances pour attaquer ou se défendre.

On ne sait pas pour quel motif Gad porte plainte et on pourrait trouver curieuse voire déplacée sa démarche. Que peut-on reprocher à CopyComic ? Il laisse chacun juger des similitudes entre individu (prétendu) plagié et (prétendu) plagiaire. Peut-on diffamer en mettant juste en parallèle deux vidéos ? Oui, mettez une personne à gauche et un singe à droite par exemple. En tout cas on pourra difficilement faire plus neutre comme manière de présenter les choses.

Vérité et justice

Qu’importe la vérité et encore davantage la justice, le bon peuple a fait son choix. Gad Elmaleh accusé de plagiat : à Montréal, une salle de spectacle ne veut plus de lui. Il suffit de voir les commentaires sur les vidéos (1, 2) et Twitter, le bad buzz de cette affaire. Celui qui en sortira perdant sera Gad Elmaleh.

Que peut-il faire et qu’aurait-il pu faire ? Même si il obtient raison et réparation devant un tribunal, le mal est fait, sa réputation est écornée, sa popularité baisse, c’est une très mauvaise publicité. Il y a une injustice totale à être convoqué devant le jugement de tous n’importe quand par n’importe qui, sur des faits qui peuvent être parfaitement présentés et à charge dont on n’arrivera pas à se défendre : 1/ Il faut maîtriser les codes des réseaux sociaux 2/ Il ne faut pas arriver après la bataille (certains appellent ça le débat) 3/ Il faut être « du bon côté » de la morale/vérité/majorité

Pour beaucoup le plagiat est évident. Pourtant ceux qui créent, publient savent qu’il faut différencier similitudes et processus créatif. La frontière est mince entre la citation, l’hommage, l’emprunt, le plagiat.

Je n’irai pourtant pas plaindre Gad Elmaleh, on voit bien ici toute l’exaspération et la fureur que peut susciter un parfait inconnu avec un peu de visibilité à des personnes connues/puissantes. On les reconnaît au fait qu’elles ne supportent plus le moindre petit caillou dans leurs chaussures.

Miroir, mon beau miroir

Regardez comment une simple vidéo impose d’avoir un avis sur la question. On ne peut pas ne pas avoir d’avis ou ne pas vouloir le donner. L’indignation est le moteur des médias sociaux ; polariser la société est leur business model.

Moins on met d’ego sur le net, moins on en souffre. Le public/juge/bourreau de cette affaire s’est empressé de donner son avis, parce que chaque individu en a le droit, ils ne s’interrogent pas si c’est bien ou mal, le vrai du faux.

Quelle meilleure preuve que l’apparence – pardon l’image – pour accuser quelqu’un ? Quel meilleur client qu’une star pour montrer les dérives de l’ego ? Quel meilleur miroir que l’avis général pour déformer la vérité ?

Déjà 4 avis pertinents dans Justice et réseaux sociaux

  • Oui mais:
    – L’humoriste a créé un effet Streisand en portant plainte. Il aurait pu simplement laisser passer l’affaire et personne n’en aurait parlé, tout le monde aurait oublié. Je ne connaissais même pas cette émission Youtube avant la médiatisation.
    – Les gens sont en rogne parce qu’il y a censure au nom des droits d’auteur, arme utilisée également par les complotistes qui veulent éviter que leurs vidéo ne se fasse démystifier.

    Pour évoquer la justice sociale je pense que l’homéopathie et le glyphosate sont des exemples bien plus parlants avec d’un côté l’absence de preuves scientifiques et de l’autre la pression de la croyance populaire et des pétitions.

  • Si le sujet est le tribunal populaire que sont devenus les réseaux sociaux, je ne suis pas sûr que l’exemple choisi soit le meilleur. Il y a en effet une erreur de comm, l’effet Streisand et l’ego plutôt que la justice populaire.
    On peut plutôt parler de cette rumeur sur les roms voleurs d’enfant récemment et qui se propagea par les réseaux sociaux…ou encore des escouades numériques de LREM qui font du harcèlement 😛

Les commentaires sont fermés.