La logique des corps

Le tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) de Lons-le-Saunier a reconnu la société Pelizzarri coupable de « faute inexcusable » pour ne pas avoir protégé Serge P., 49 ans, contre le cri strident des cochons et le bruit des machines de la porcherie. Sa surdité avait été reconnue comme maladie professionnelle en 2012. « Je suis très content, ça fait cinq ans que je me bagarre et finalement la justice a reconnu la faute de mon patron », a déclaré M. Personeni. Il a été employé de septembre 2001 à février 2008 dans trois porcheries de la société Pelizzarri dans le Doubs et le Jura. Le tribunal a estimé que l’employeur n’avait pris aucune mesure pour protéger son employé du bruit, mesuré entre 121 et 133 décibels au moment où les cochons sont nourris. D’après la réglementation en vigueur, les employés doivent recevoir des protections lorsqu’une exposition sonore dépasse 85 décibels.

Sources :
https://www.lepoint.fr/insolite/un-operateur-de-porcheries-condamne-pour-le-cri-de-ses-cochons-12-09-2013-1723508_48.php
https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/justice-proces/assourdi-par-les-cris-des-cochons-un-homme-fait-condamner-son-employeur_409615.html

Douleur et réaction

Nous sommes mortels. Le corps humain nous envoie des signaux pour nous informer quand ça ne va pas. La douleur devrait engendrer une réaction logique et immédiate : Quelque chose me fait souffrir, je dois m’en occuper en priorité. Quoi de plus important que la santé ?

Durant plus de 6 ans cet employé a été soumis à un environnement très bruyant jusqu’à devenir sourd. Son corps, sa vie, sa responsabilité. Nous sommes les premiers responsables de l’état de notre corps et de notre santé. Pourquoi il n’a pas acheté un casque antibruits à 30 euros pour se protéger ? Il n’est pas question d’accabler davantage cette personne mais faut-il attendre de tomber malade ou souffrir inutilement pour se protéger ?

Oui légalement et pénalement l’entreprise doit veiller à votre santé/sécurité et vous fournir le matériel adéquat pour exercer votre métier MAIS C’EST À VOUS DE PRENDRE SOIN DE VOTRE CORPS à tout moment et dans toute situation.

Cette affaire montre que beaucoup d’employés ne dépenseront pas un euro alors que leur santé est en jeu quand c’est à l’employeur de fournir le matériel et les protéger. J’ai vu des personnes sur des sièges cassés, un accoudoir manquant, le dossier branlant ou l’assise penchée. J’ai vu des personnes bosser avec des souris à boule il y a encore 2 ans et batailler avec pour cliquer au bon endroit. Je vois des gens qui ne s’intéressent pas une seconde à leur vue alors qu’ils passent 8h par jour sur un ordinateur.

Votre corps se fout complètement que vous vous cassiez le dos pour de bonnes ou mauvaises raisons par ignorance/insouciance/inconscience, à cause d’une mauvaise chute, du sport ou d’un job, parce que votre patron est un salaud qui ne veut pas remplacer votre siège ou parce que vous avez trop forcé en soulevant un carton. Une fois que la douleur est là, vous êtes le premier concerné et vous allez vivre avec.

Coûts pour coups

Depuis une dizaine d’années j’utilise mon matériel personnel dans mon environnement professionnel. Au début c’était par plaisir, confort et efficacité puis avec l’expérience j’ai compris que travailler 8h par jour sur un pc en faisant les mêmes gestes, je devais réduire au maximum toute douleur et fatigue (musculaire, visuelle, etc.).

J’ai déjà eu mal à la main, je ne pouvais plus déplacer la souris car ça tirait (syndrome du canal carpien), je devais faire des pauses. L’anecdote peut être risible mais je vous assure que ça fait bizarre. J’ai effectué ma dernière période d’essai sur un pc portable, entre le stress et la tête constamment penchée sur l’écran j’avais la tête lourde, des douleurs cervicales, des tics nerveux (faire craquer les os de mon cou avec un mouvement de tête).

Quand on m’offre un nouveau clavier (soigneusement sélectionné), je préfère l’utiliser au boulot 8h par jour plutôt que 8h par semaine car matériel perso. Mon corps se fout de la logique économique et de la distinction perso/pro, plus j’en prends soin moins il me fait souffrir. Évidemment je ne suis pas en train de dire remplacer tout votre matériel mais de prendre soin et d’être à l’écoute de votre corps. Si vous ressentez de la fatigue ou des douleurs, votre entreprise peut-elle améliorer vos conditions de travail ? Si ce n’est pas le cas, pouvez-vous le faire ?

ASICS

ASICS est l’acronyme de l’expression latine « Anima Sana In Corpore Sano » : Un esprit sain dans un corps sain. Une douleur chronique influence votre moral et votre humeur pouvant mener à une dépression. Une douleur ne doit pas être sous-estimée, dans le cas d’un travail sur ordinateur les causes sont souvent simples à trouver et à corriger : Siège de mauvaise qualité ou mal réglé, reflets dans l’écran ou mauvais réglages (luminosité, lumière bleue), matériel ancien/défaillant, mauvais positionnement et placement (être sous la clim, mettre la souris trop loin, l’écran trop près…), pas assez de pauses pour reposer ses bras/mains/doigts et solliciter ses jambes, etc.

Vous pouvez demander aide et conseils à votre médecin, au service informatique, souvent aussi à vos collègues. Je vous invite à consulter cette brochure de l’INRS, le Wiki de Sebsauvage, ce thread sur l’achat d’un fauteuil de bureau et ces articles sur la position debout (1, 2).

Qui veut voyager loin ménage sa monture.

Déjà 16 avis pertinents dans La logique des corps

  • bendia
    Salut

    Je trouve ton propos très dérangeant pour plein de raison.

    Dans un tel cas, ce n’est pas l’achat d’EPI (qui est le pis-aller de la securité au travail, on lui preferera la protection collective) sur ses deniers personels la solution, c’est l’usage de son droit de retrait.

    Dans tes exemples, les salariés prevenir l’employeur et cesser de bosser, pas rapporter un siège de la maison.

    Pratiquer autrement, c’est Uber, c’est Deliveroo, c’est faire porter au travailleur l’intégralité des charges et de la sécurité sur les travailleurs.

    Le problème, c’est que notre cadre légal ne va pas dans ce sens en ce moment, on va donc à mon avis vers plus de cas comme ça, parce que le casque à 30€ n’est peut-être pas à la porté de la personne en question, pas la solution (protection collective en priorité).

  • bendia
    Désolé, tellement choqué par l’article que je n’ai pas attendu d’être devant un vrai clavier pour réagir :/

    Donc, dans ce cas, les salariés doivent prévenir leur employeur qu’une situation est dangereuse, et se retirer de cette situation (user de leur droit de retrait), donc, ne pas réaliser la tâche mettant en péril de manière grave et imminente leur santé. Et C’est effectivement une définition du droit du travail, mais là n’est pas le problème que m’a posé la lecture de ton article. Tu peux parfaitement écouter ton corps et user de ce droit de retrait plutôt que d’acheter toi même tes EPI (désolé pour les acronymes non définis effectivement ;) ). Cet exemple aurait servi tout autant ton propos, sans laisser à penser qu’il te paraît normal qu’un salarié ait à acheter soi même ses EPI.

    La phrase suivante correspond à l’autre remarque de nikaro sur le JDH ( je découvre ses commentaires, n’étant pas lecteur habituel du JDH), 30€, tu peux te dire que ça n’est pas grand chose, je crois que ça n’est pas vrai pour tout le monde, il y a beaucoup de « travailleurs pauvres » et donc pourtant payer au SMIC horaire.

    Nous sommes effectivement deux à réagir plus ou moins de la même façon, peut-être que la manière dont est écrit l’article amène à cette lecture ? Pour ma part, je ne crois pas que ça soit une lecture plus axé sur le droit du travail, c’est juste que ton exemple n’est pas le bon, et tu dois le tordre de manière grotesque pour le raccrocher à ton propos.

  • bendia
    Désolé que cela te touche, et je prend bonne note que ce que j’ai lu n’était pas ce que tu voulais dire :)

    « Durant plus de 6 ans cet employé a été soumis à un environnement très bruyant jusqu’à devenir sourd. Son corps, sa vie, sa responsabilité. Nous sommes les premiers responsables de l’état de notre corps et de notre santé. Pourquoi il n’a pas acheté un casque antibruits à 30 euros pour se protéger ? Il n’est pas question d’accabler davantage cette personne mais faut-il attendre de tomber malade ou souffrir inutilement pour se protéger ?

    Oui légalement et pénalement l’entreprise doit veiller à votre santé/sécurité et vous fournir le matériel adéquat pour exercer votre métier MAIS C’EST À VOUS DE PRENDRE SOIN DE VOTRE CORPS à tout moment et dans toute situation. »

    C’est l’extrait qui me chiffonne, et je n’arrive pas à lire autre chose que: « c’est entièrement de sa faute, il n’avait qu’à s’équiper lui même puisque son employeur qui en a l’obligation ne le fait pas » ? Je vais même plus loin, le seul endroit où tu cites la responsabilité de l’employeur, c’est pour dire « oui mais ». Un exemple de l’utilisation de cette tournure de phrase : « Oui, il ne faut pas mettre la main aux fesses des femmes, mais elles n’ont qu’à s’habiller de manière moins provocante ! » (je ne te prête en aucun cas ces propos hein, soyons clair, c’est juste pour montrer le problème avec cette tournure et comment je la lis ;) ).

    A l’exception de trois mots ou tu parles de sport, le reste ne parle que de santé dans le cadre du travail, c’est pour cela que ne transparaît pas à mon avis le fond du propos. Dans un cadre personnel comme le sport, je suis entièrement d’accord que tu es à 100% responsable de ta santé. Dans un cadre professionnel, je suis entièrement d’accord qu’il ne faut pas laisser perdurer des situations dangereuses, donc, écouter les signaux de son corps, mais encore une fois, dans ce cadre, la solution à mettre en avant à mon avis est de ne pas faire plutôt que de se débrouiller pour pouvoir faire sans impliquer son employeur.

    Cette histoire me touche effectivement parce-que j’ai subi plus ou moins le même sort, en me mettant en danger au travail (en ce qui me concerne, c’était plutôt des risques de chute, donc, tant qu’on ne tombe pas, il n’y a rien d’irréversible comme dans ton exemple, et je ne suis pas tombé). Prendre la décision de discuter du problème, puis, de perdre son emploi lorsqu’on t’a signifier que ça serait comme ça et pas autrement, c’est long, et ç’a m’a cassé pendant plusieurs mois à me dire que c’était ma faute et que j’étais un « bon à rien »avant de me rendre compte que j’avais fait le bon choix.

    Donc, effectivement, à l’époque, ça m’aurait probablement aider de lire quelqu’un qui présente l’aspect protection institutionnelle et collective plutôt que la responsabilité individuelle. Je bosse à présent dans une boite nettement plus impliqué sur le sujet. On arrive cependant à la limite lorsque la plupart des problème matériels sont résolus. Ce qu’il reste comme accidents vient de notre comportement, en particulier de notre « jugement du risque ». On sait bien nous le faire remarquer, en oubliant qu’on nous laisse de moins en moins de temps pour juger, ou qu’on peut légalement nous mettre en situation de privation de sommeil assez peu propice à une bonne évaluation des risques (je peux en effet bosser du vendredi soir au lundi matin sans période suffisamment longue pour dormir convenablement tant que mon temps d’intervention ne dépasse pas 12h sur cette période). Donc, là encore, on pointe à nouveau le comportement individuel alors qu’il s’agit plus d’un problème d’organisation collective.

    J’espère avoir suffisamment argumenter pour expliquer comment j’arrive à cette interprétation.

    Sinon, sur ce que tu expliques avoir voulu exprimer, je suis entièrement d’accord, il faut écouter son corps, c’est un capteur assez formidable et on en a qu’un :)

  • bendia
    Merci aussi pour ta patience, et pour m’avoir fait analyser plus profondément ce qu’avait déclenché ces émotions à la lecture de ton article :-)

    Autre remarque n’ayant pas forcement à voir : je n’aurais peut-être pas réagi de la sorte en ayant lu vos échanges de commentaires avec nikaro sur le JDH. Je n’ai qu’a en devenir lecteur régulier me diras-tu, mais ça met en lumière l’intérêt des moteur de blog fédérés genre Plume, où il est possible de commenter depuis différents réseau.

    Je ne sais pas si un tel mécanisme est adaptable à WordPress cependant, mais ça me semblerait intéressant comme mécanisme.

  • herve_02
    La problématiques est aussi un peu plus compliquée que cela. Je suis intimement persuadé que la personne en question n’imaginait pas pouvoir devenir sourde du fait de ses conditions de travail. Parce que c’est ancré dans la tête des gens (et la loi) que l’entreprise DOIT protection. C’est la norme. Ainsi si on le laisse faire certaines choses, il peut ne pas être évident que ce soit dangereux.

    Et puis c’est comme les faibles doses, c’est le long terme qui crée le dommage. Ainsi il ne risque pas de devenir sourd en allant travailler, il devient sourd en travaillant tout le temps dans ces conditions. Cette notion de répétition vs acte isolé est importante. Ainsi il aurait plus facilement acheté son casque si on lui avait dit : si vous rentrez sans casque vous serez sourd. Car la sanction est immédiate plutôt que repoussée à une date future non identifiable.

    Il y a aussi la différenciation socio-culturelle. Ainsi cela te semble évident que d’acheter un casque à 30 euros aurait résolu le problème en amont (et moi aussi je l’aurais fait à cause de l’inconfort immédiat – c’est important de le comprendre). Mais tu le dis avec ton niveau socio-culturelle qui t’a appris à faire attention à ta santé. Mais je pense que cet ouvrier agricole n’a pas le même niveau socio-culturel et que dans SA pyramide de besoin, sa santé n’est pas au même niveau que pour toi. Et ce regard que tu portes sur ta santé, on ne le lui a peut être tout simplement pas appris. et si ce n’est pas appris ce n’est pas su. Je vois bien le retour de flamme de cette affirmation : on le voit partout qu’il faut prendre soin. Ben non, tu le vois peut être partout, mais peut être que lui ne le voit pas.

    Enfin, il y a le contexte. Ce n’est pas un ingénieur dans un open space, mais un ouvrier agricole. TOUT les emplois agricoles sont des emplois pénibles, parce que ce sont des métiers durs. Tous les ouvriers agricoles usent leur corps au travail. Et ils le savent, et ils ne peuvent rien y faire. Alors oui ils pourraient acheter tel type de chaussures, tel type de ceintures lombaires, tel type de gants, tels type de polos… enfin pas besoin de faire une liste exhaustives, mais ce n’est pas la ‘culture’ de l’environnement. Là encore problème d’éducation : ce qui n’est pas appris n’est pas su.

    Enfin (ou je sais c’est 2 enfins, et oui avec un s parce qu’il y en a 2) Dans nos métiers on travaille avec notre cerveau qui a priori ne s’use pas lorsque l’on s’en sert – sauf burnes out enfin..burn out) alors que son travail à lui se fait avec son corps. Cela veut dire que chaque jour, il use son corps, chaque jour il mange de son capital santé et c’est intrinsèque à son activité. il ne peut pas en changer (va trouver un métier de bureau lorsque ton expérience c’est ouvrier agricole en porcherie industrielle). Parce que oui il aurait du acheter un casque, mais cela ne résoudra pas le fait qu’il sera cassé de toute manière. Pas sourd, mais cassé tout de même.

    Enfin (oui j’abuse) parler de ce cas c’est poser la question (et merci d’avoir écrit ce billet, rien que pour cela) est-ce que la société peut accepter que des personnes occupent un travail qui détruit leur santé ?

  • herve_02
    Oui je vois le truc. C’est dommage parce que dans presque toutes tes réflexions tu es sur la défensive (j’ai découvert ce blog via un post mastodont) et de fil en aiguille j’ai relus pas mal de billet (en commençant par ceux techniques) et je me suis diverti avec ceux plus politiques ou sociaux.) C’est dans presque toutes les réponses un peu longues. Il y a toujours un oui mais, comme si les réponses visaient à montrer qui a raison, c’est qui le chef.

    On ne sait pas ce qu’il a vécu pendant ses 6 ans. Mais on peut imaginer que s’il se balade sur 3 sites il doit pas avoir beaucoup de monde à croiser, sinon il aurait pas besoin de se déplacer. Je ne dis pas qu’il est impossible qu’il ait rencontré quelqu’un qui l’a prévenu, je dis juste que l’on ne sait pas. Oui définitivement il aurait pu acheter le casque, comme tu devrais ne pas travailler sur écran plus de … 45 minutes à la suite avec une pause de … 15 minutes entre chaque session (je ne me souviens plus des durées, car je ne le fais pas non plus) Mais est-ce que tu le fais ? le ferais ? le fera ? C’est juste ce questionnement que je voulais poser. Parce que l’homme étant ce qu’il est, n’est pas rationnel. Son comportement est un peu à la croisée des habitudes et de ses pré-supposés. Ensuite, les décibels très fort (de ce que j’ai retenu) étaient seulement pendant le nourrissage, donc on peut imaginer qu’il y avait des périodes plus calme et que son inconfort n’était pas continu pendant ses journées de travail. Cela explique peut être son laisser allez face à cette nuisance. Ensuite, tu regarde le prix sur amazone d’un bon casque anti bruit et tu te dis 30 euros c’est cool.

    Peut être que lui va voir le prix dans sa coopérative agricole et que c’est 150 euros ? (pas le même ou alors ce sont des voleur), peut être que dans son monde à lui, il ne trouve que des casque pour les tronçonneuses. et d’ailleurs peut être même que les casques à 30 euros ne sont pas adaptés à son activité ? Je ne sais pas, mais j’imagine mal une personne faire exprès d’abîmer sa santé. Et peut être même que les autres collègues s’abîment actuellement la santé, en ce moment dans le bruit des cochons élevés industriellement. J’ai travaillé avec un expert forestier. Dans le monde de la forêt il y a pas mal d’équipes de turcs pour l’abattage des arbres. Et bien AUCUN ne porte de pantalon anti tronçonneuse (fait avec un tissus qui fait que lorsque la tronçonneuse ripe et attaque la jambe le tissus se ‘délite’ et bloque la lame). Alors je n’ai jamais essayé pour voir si cela t’évite tout dommage, je sais juste que ces pantalons coûtent très cher et qu’aucun (je connais pas tout le monde dans le monde cependant) des turcs qui abattent en ont. Et je suis persuadé qu’ils savent qu’un coup de tronçonneuse mal placé c’est pas cool, et je suis persuadé qu’ils savent ou/et connaissent des gens qui savent que ces pantalons existent.

    Alors oui lorsque plusieurs générations se transmettent comme dans le bon vieux temps, mais cela ne se passe pas comme cela. Les fermes ferment (oui j’abuse) ou plutôt sont rachetées, c’est à dire que le passage de témoin entre générations est plutôt cassé et que nous avons surtout des ouvriers isolés qui le deviennent parce qu’ils aiment, sans avoir une tradition familiale. Ensuite (ah ah) les cellules familiale explosent et la mobilité déracine les gens : ils ne travaillent pas près de leurs parents. Et les pratiques évoluent très vite. les astuces des parents sont inutiles face aux nouvelles méthodes de travail. Ce n’est plus comment lever une brouette qui va lui sauve le dos, c’est un siège adapté sur le tracteur pour éviter les vibrations et le tape cul. Dans 10 ans, on trouvera peut être des cinquas avec le dos broyé à cause des journées assis sur un siège merdique. Et on trouvera quelqu’un pour dire : oui mais y pouvait s’acheter le bon siège… mais 10 ans arrière on ne savait pas que les sièges étaient importants.

    C’est cela que je trouve dérangeant dans tes réponses, ce sont ces trucs assénés du haut de celui qui sait : »Vivre à la campagne ou avoir un boulot difficile n’empêche pas de s’informer. » S’informer auprès de qui ? de la chambre d’agriculture ? des syndicats (s’il y en a) ? à la télé ? la médecine du travail ? y-va-t-i l? le dirait-elle ? tu calques ta manière de procéder et la projette sur les autres. Tu utilises un clavier perso au taff, du coup, ceux qui ne le font pas sont un peu coupables s’ils ont des soucis de santé. La diversité humaine et l’empathie devrait permettre d’accueillir le sentiment (ressenti) sans juger.

    Oui ce serait mieux que cet ouvrier ait acheté tout seul son casque. Ce serait encore mieux qu’il y ait un panneau à l’entrée du hangar avec port de casque obligatoire, et ce serait encore mieux qu’il y ait des contrôles inopinés avec sanction si les gens ne portent pas de casques. Parce que c’est la responsabilité de l’encadrant que de veiller à ce que l’encadré ne s’abîme pas la santé, même s’il faut le forcer à cela.

    Enfi.. non passa.

    De plus (mais ca marche moins bien du coup) je ne fais pas la bataille pour savoir qui a le boulot le plus difficile. Mais honnêtement, même si une journée entière de conception ou de formation (en tant que formateur) te rince. une journée à soulever des parpaings, sur le long terme c’est pas la même musique. D’ailleurs s’il y a 10 ans d’écart d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre c’est que le binaire esprit malade/corps usé à déjà sa réponse. Et rien n’empêche d’avoir le corps brisé ET l’esprit malade. je serais mauvaise langue je dirais que c’est méprisant d’affirmer que l’ouvrier s’abîment pas la cervelle lui. Mais c’est peut être aussi la dichotomie que j’avais faites moi même qui porte cette idée. je serais donc mauvaise langue au carré. bon je me fouetterais avec des orties sèches.

    Enfi… nan nan et nan

    Pour finir, je ne sais pas si tous les travaux abîment le corps, je dirais que oui tous peuvent abîmer le corps, mais ce qui le détruit c’est, de mon point de vue, peut importe le travail, la pression que l’on met sur le travailleur. Il est dommageable tout autant devoir monter obligatoirement XXX rangs de parpaing par jour que devoir écrire XXX lignes de code.

    Pour finir pour de vrai… (et là je vais être sérieux) il ne faut pas nier ces différences socio-culturelles. On fait aussi des ateliers parentaux parfois avec des assos ou centre sociaux et parfois dans des coins abandonnés par la puissance publique. Ce que l’on rencontre comme misère financière et intellectuelle permet de relativiser les ‘yzonka s’informer’. Je dirais même comme l’école (enfin l’instruction mais ne chipotons pas) est obligatoire ces gens sont tous passés par l’école de la république et s’ils sont comme cela, j’ai du mal à les en rendre responsable, ne serait-ce que partiellement. Ce qui nous semble tellement évident du fait de notre niveau culturel, de notre environnement familial, de notre environnement pro ou amical ne l’est pas du tout. Nous sommes chanceux, très chanceux. et il est un poil de mauvaise foi de regarder la vie à travers nos lunettes en disant ‘yzonka’. Parce que si on veut partir comme çà, je dirais que NOUS sommes responsables de leurs positons et que notre devoir d »humain est de refuser toute activité dans cette société qu laisse des gens dans une telle misère, sur notre territoire nationale, des citoyens de plein droits et surtout des humains comme nous tant que ce n’est pas réglé.

    <3 paix et amour cependant

  • herve_02
    Je suis désolé, mais lorsque je lis « Vivre à la campagne ou avoir un boulot difficile n’empêche pas de s’informer.  » ce n’est pas une discussion, c’est une affirmation nette et sans bavure. Je ne projette rien. Dans tout la publication tu dis « la personne doit prendre soin de sa santé ». C’est encore une affirmation, pas une discussion. Parce qu’avant il faudrait discuter de qu’est-ce prendre soin de sa santé, qu’est-ce que cela implique, est-ce que tout le monde est égal devant la chose. C’est cela discuter. Il y a dans le monde médical (donc des médecins dont c’est le métier de soigner) des réflexions sur le patient et sa capacité à prendre soin de sa santé. Capacité qui n’est pas seulement de la bonne ou mauvaise volonté, mais à trait à ce capital socio-culturel. D’ailleurs c’est même assez pervers, car un cadre supérieur qui refuse la vaccination, on va tenter de le convaincre, si c’est un ‘pauvre’ dans un campagne profonde, on va vacciner de force ses enfants. Parce qu’on aura décidé que le pauvre n’est pas assez intelligent pour décider. WTF. Et qu’on a raison de penser que c’est pour son bien. Mais ce n’est pas la Vérité, c’est Notre vérité.

    D’ailleurs je ne fais que cela, amener sur le tapis ces éléments de réflexion. je pose cette notion de capital culturel (qui n’est pas de moi hein) et toi tu réponds « c’est rarement tout noir ou tout blanc ». Certes pourquoi pas, mais cela ne veut pas dire grand chose. Effectivement on peut prendre une personne qui a « réussi » (peut importe ce que l’on entend pas réussir) et montrer que son capital socio-culturel n’est pas aussi blanc que l’on pourrait s’attendre, qu’il a également ses zones d’ombres et ses blessures/lacunes. Mais ce n’est pas la question ici. La question ici c’est qu’il y a des gens dont le capital socio-cuturel est surtout noir. Nous en rencontrons régulièrement (et encore notre public, puisque sur la base du volontariat, est plutôt ouvert aux questions de bienveillance, donc même nous nous avons une image un peu édulcorée) et pour ces gens là rien n’est simple. Ce qui est pervers c’est que l’on prend une personne qui a eu des difficultéset a réussi pour dénier à ceux qui sont sans capital socio-culturel les problèmes : ils zonka. Mais non ils peuvent tout simplement pas, parce que où ils sont, ils n’ont pas les moyens, les outils pour faire les bons choix. C’est la perversion du système libéral, croire que tout le monde peut réussir, yaka travailler. Il faut écouter les 2 conférences de franck Lepage sur youtube (incultures 1 et 2), conférences qui démontent cette idée de yzonka, et que cet état de fait l’acculturation de la masse est assumé parfaitement par les gouvernements successifs.

    Non, tu n’est pas la ‘cible’. c’est pas du tout ce que je veux dire (même si peut être est-ce ce que tu ressens). D’ailleurs c’est le problèmes des rézos : on confronte ses idées avec celles de personnes ne gravitant pas dans notre zone socio-culturelle et donc le ‘choc’ de culture prend des allures de « tu me contredis ». Tu as le droit de penser ce que tu penses, et c’est probablement vraie dans ta sphère mais ce n’est pas vrai dans toutes les sphères, je dis juste cela.

    Il n’y a pas de oui mais, ce n’est pas valable dans toutes les sphères et si tu veux te convaincre, va passer tes vacances dans la Thiérache (Nord de l’Aisne 02) et sort des grandes villes. Maintenant oui il faut responsabiliser les gens, mais cela passe obligatoirement par l’éducation et si les gens ne sont pas responsables c’est un echec de l’école obligatoire. Car pour être responsable il faut le bagage. je dis juste cela : ce n’est pas aussi simple.

  • Derrière cette affaire, je vois pas mal de points :
    (avec un peu de retard, je n’étais pas chez moi à l’époque de ce billet, avec un réseau en carton)

    – La méconnaissance du droit du travail (et son pendant, le manque de présence syndicale)
    – La pression sociale, hiérarchique, qui fait que (surtout en tant qu’ouvrier) on ne pense avoir droit à rien, on a peur de perdre son emploi, d’abord.
    – Le manque de présence et de pouvoir de la médecine de travail dans certains secteurs d’activité.
    J’ai la chance de ne pas être trop dans ce cas : Formations pour les postures, aménagement du poste de travail systématique, possibilité de commander les accessoires adaptés avec un certificat médical, visites régulières (même si plus espacées). C’est très dépendant de l’employeur évidemment et de l’image qu’il veut renvoyer. Là on est dans un environnement plus que pénible. On peut parler des abattoirs, des fonderies, etc….
    Tous ces éléments font que cet individu ne pense pas à sa sécurité. Je pourrais te citer des exemples dans mon secteur, de maintenancier de grosses machines obligés de rentrer dans une fournaise gorgée d’huile pour la maintenance, au risque de finir écrasé par la machine si c’est non balisé, si le collègue fait une connerie, et tout ça sans alimentation en oxygène pour garantir sa bonne respiration. C’était il y a 15 ans avec le même employeur qui aujourd’hui se préoccupe du risque. Et pourtant, il y a syndicat, etc comme je citais…Aujourd’hui, l’activité est sous-traitée donc on doit encore fermer les yeux sur des risques, mais c’est chez le voisin. On a l’impact de la pression de la production, du coût, etc….tout est justifié par rapport à ça. Dans ton exemple, on te répondra que la concurrence du porc étranger, etc….
    Nous ne sommes pas dans le monde des bisounours et si ce monsieur avait réclamé sa protection, il l’aurait peut-être eu…peut-être aurait-il aussi été mis sur la touche, viré pour une fausse raison, allez savoir. Il aurait pu aussi s’acheter ça sur ces deniers, comme je peux avoir à ramener mes propres instruments quand je ne peux pas me le faire commander. Là on aborde un élément subjectif qui tient à la position sociale que l’on occupe, ou croit occuper. Je peux te dire pour côtoyer des ouvriers , des techniciens, des cadres, que beaucoup des premiers croient être trop cons pour faire pleins de choses, apprendre alors qu’ils ont des capacités d’apprentissage autant que les autres. Il y a dans leur tête l’impression qu’ils sont toujours inférieurs, car pas de diplômes, car leurs parents parfois leur ont dit ça, … c’est assez terrible à démontrer le contraire. Il y a une relation de confiance à créer avant.
    Bref, faire des généralités sur ce cas est complexe mais cela soulève des questions dont celles que j’ai citées.
    Voilà, j’espère avoir fait avancer un peu aussi…

  • Damien Delurier
    je crois que le propos d @herve_02 se synthétise sur cette remarque :

    « On est bien d’accord qu’il y a 30 euros dans 1000 euros ou qu’une visite chez un généraliste c’est 25 euros ? Donc à un moment c’est un choix de faire passer (ou pas) autre chose devant la protection de son corps ou de sa santé, il s’agit du sujet et du propos de l’article »

    L’ouvrier n’a pas conscience qu’il a ce choix d’acheter une protection. C’est une approche qui n’est pas conscientiser, qui n’est pas dans sa culture. Il est dans une culture du sacrifice, assez souvent présente dans les mondes rural et ouvrier. Un de mes professeurs universitaires parle « d’ethos ouvrier » avec l’impossibilité du non-faire. S’arrêter c’est déchoir. il y a une intériorisation de la nécessité de produire. C’est aussi le corps comme ustensile de travail, engagé, pris dans le process de travail. Quand @herve_02 des « ils zonka », il aborde le 3ème pan de cet ethos ouvrier : l’ouvrier a un complexe devant la « langue légitime », celle du chef de l’atelier ou du patron de l’usine, l’ouvrier ne se sent pas légitime pour parler, il ne prend pas la parole, quelque soit le problème qu’il subit.

    C’est là je pense la différence entre ta perception du problème et la solution que tu apportes et la réponse d’Hervé.

    Et effectivement, voir et revoir les ateliers de Franck Lepage sur le sujet.

    Mes 2 cents.

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