Entre les murs ; un problème de pédagogie

Je viens de regarder le film Entre les murs, un film français avec dans le rôle titre, François Bégaudeau, un penseur par ailleurs assez intéressant. Le film tente de représenter le quotidien d’enseignants dans un collège dit « difficile ». Le film a été primé à Cannes l’année de sa sortie (et l’année de l’obtention de mon bac) et je trouve qu’il pose des questions assez dérangeantes sur notre système éducatif, tant par lui-même que par la réception qui lui a été faite.

Les raisons d’une palme d’or

La palme d’or du festival de Cannes est un prix qui suscite parfois des controverses. En 2013, le festival récompensait La vie d’Adèle, un film qui avait entousiasmé une grande partie de la presse à l’époque et qui, pourtant, est bien loin d’être considéré uninanimement comme un chef-d’œuvre. Les deux films se ressemblent d’ailleurs beaucoup dans leur procédé de mise en scène (caméra à l’épaule, jeu d’acteur proche du documentaire, rythme lent, absence d’effet de mise en scène au montage). En effet, La vie d’Adèle semble avoir provoqué un rejet presque uniname, à l’époque de sa sortie, de la part de la communauté LGBT, en particulier la communauté lesbienne, que le film est pourtant censé mettre en avant. Basé sur une bande dessinée racontant une histoire tragique, l’adaptation ressemblait plus, au final, à une espèce de fantasme pour mec hétéro cisgenre qu’à un hymne à la tolérence.

Et il était difficile d’imaginer comment il aurait pu en être autrement, le projet étant mené par un homme hétéro cisgenre qui ne semble pas avoir pris grand soin d’inclure l’autrice originale de la BD dans le processus de production, et met en scène deux actrices, elles aussi, hétéros et cisgenres. Bref, alors que le milieu du cinéma louait la subversion de la principale scène de sexe du film, la communauté lesbienne, elle la dénoncait comme pargrotesque.

De la même manière que La vie d’Adèle, le jeu d’acteur d’Entre les murs est approximatif. Si les enfants, à mes yeux s’en sortent bien, de même que François Bégaudeau, tous les rôles secondaires sont aux fraises. En résulte (comme pour La vie d’Adèle) un film qui a le cul coincé entre la fiction et le documentaire et qui le fait sonner faux de bout en bout à la manière d’une série docudrama cheap de France 3.

Bien sûr, les qualités de réalisation se discutent. Et il est fort à parier que le jury du festival de Cannes de l’époque serait en désaccord avec moi. Mais précisément : ça se discute. Et le film ne devient pas automatiquement un chef-d’œuvre parce que le milieu du cinéma en a décidé ainsi.

Et m’est avis que, si le film a obtenu une palme d’or, c’est bien moins pour ses qualités de mise en scène (qui ne propose aucune originalité, comme tente de le montrer mon parallèle avec La vie d’Adèle) que pour son sujet.

Le cinéma est politique

Comme dit en intro, le film tente de représenter le quotidien d’enseignants dans un collège dit « difficile ». Sauf que ce pitch en soi, pose beaucoup de questions. L’apparente frugalité de la mise en scène du film semble indiquer une volonté de montrer une réalité sans filtre, sans jugement de valeur, sans parti-pris politique. Sauf que le nœud du problème est là : qu’on le veuille ou non, un film est toujours politique.

Déjà parce qu’il présente des personnages. Des personnages qui ont une place dans des rapports sociaux. Des personnages qui ont une classe sociale. Et ces personnages sont filmés d’une certaine manière. Lorsque la caméra est dans une pièce, elle n’est pas dans une autre. Ça signifie que le film, l’écran, le choix des scènes, à tout moment, ne peut nous montrer qu’une partie de l’histroire et pas une autre. Donc le film opère un choix dans ce qu’il nous montre et ce qu’il ne nous montre pas. Lorsque le film choisi de nous montrer des professeurs en salle de pause pendant l’intercours, il choisit de ne pas nous montrer la vie des collégiens pendant ce même intercours. Ou, s’il le fait, il doit choisir la succession, l’ordre des scènes. Quel personnage ouvre le propos, quel personnage le termine.

Un film est toujours une succession de choix. Et ces choix sont politiques. Que l’aspect politique de ces choix soit conscient pour le ou la réalisatrice ou non n’écarte pas l’aspect politique de ces choix. Ainsi, lorsque le film choisi de se focaliser sur le quotidien d’un collège dit « difficile », il choisit de ne pas se focaliser sur le quotidien du collège Stanislas à Paris

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Et cet aspect est important. Puisqu’en l’occurrence, le film fait le choix ne nous montrer pratiquement que deux types de scènes :

  1. les scènes de cours du personnage principal avec sa classe
  2. les scènes hors cours que le personnage principal passe avec ses camarades professeurs.

Ainsi le film fait le choix politique de nous faire adopter le point de vue du professeur. De nous montrer sa position sociale, ses choix d’enseignement et, surtout, à aucun moment de remettre cette position ou ces choix d’enseignement en question.

Même si la réalisation est brute – en fait, parce que la réalisation est brute – le film fait le choix politique de ne pas questionner les rapports de pouvoir et de domination – par ailleurs extrêmement violents, même euphémisés – qui ont lieu à l’école.

Alors bien sûr, ce film (et mon expérience du lycée) a 10 ans. Et si le film fait parfaitement son travail de représentation de la réalité – la grande majorité des scènes de cours représentées, je les ai moi-même vécues – les choses ont pu changer depuis. Mais j’en doute.

Autoritarisme, mépris de classe, condescendance envers les enfants et les adolescents

Une des raisons qui font que j’ai moi-même très mal vécu mon enfance – il y en a d’autres, évidemment, mais celle-là en fait bien partie – est la condescendance, voire le mépris, que témoignent beaucoup d’adultes de la société française envers les enfants et les adolescents. J’ai pris conscience de ce mépris très tôt dans mon enfance. Il y a, chez les adultes, le refus de donner au discours, aux arguments des enfants et des adolescents la même valeur et la même considération qu’à ceux des adultes. Leur volonté, leurs limites ne sont que rarement respectés.

C’est par exemple le cas dans cette scène où Martin (le personnage principal joué par Bégaudeau), intime l’ordre à une élève de lire un passage du Journal d’Anne Franck. Le refus de cette dernière n’est alors pas considéré comme une absence de consentement qui devrait être respecté et qui est motivé par des raisons qui lui sont propres, mais comme un refus illégitime d’obéir. Un refus qui doit être sanctionné.

Et on touche alors au deuxième problème du film (et de l’École dans laquelle j’ai passé mon enfance) : l’autoritarisme. Les professeurs dans ce film (et une très grande partie de ceux que j’ai eus en classe) ne construisent l’enseignement que comme un rapport de soumission ou de conflit. L’enseignement n’est jamais dépeint comme un processus collaboratif où les limites, les forces et les faiblesses de chaque enfant doivent être respectés mais comme un étrange gavage culturel où le but est d’instruire l’enfant sans jamais lui expliquer lui faire saisir l’intérêt de cette instruction et sans jamais respecter ses particularités d’apprentissage.

Et bien sûr, cette instruction, c’est l’instruction décidée par la bourgeoisie. La seule décrétée légitime. Ce troisième problème est d’autant plus criant dans le film que le personnage principal est professeur de français. Or, il n’existe pas de matière enseignée au collège plus politiquement discutable que celle-là. En effet, le français – et particulièrement son orthographe et sa grammaire – sont des créations tout à fait artificielles. Ces créations émanent de l’Académie française, créée par le Cardinal de Richelieu et avaient pour objectif de :

[distinguer] les gens de Lettres d’avec les Ignorants et les simples femmes

(Pour de vrai)

Si l’Académie Française est aujourd’hui plus policée, il n’en reste pas moins que l’institution défend une vision très conservatrice de l’orthographe avec des arguments la plupart du temps faibles, voire mauvais. Ainsi, enseigner « le masculin l’emporte sur le féminin » comme règle d’accord plutôt que l’accord de proximité (que, personnellement, je prefère utiliser) est un choix politique. Ce n’est pas un choix scientifique, ce n’est pas un choix logique, c’est un choix politique. Cette règle, et bien d’autres, pourrait être changée sans que le discours ne s’en trouve de quelque sorte modifié.

Or, c’est bien la bourgeoisie qui choisi, et a toujours choisi ce qui est publiquement considéré comme « le français correct ». Un choix politique que relaie, sans aucune distance ni aucune analyse politique, le personnage d’Entre les murs (et, par corollaire, le film lui-même).

C’est très visible dans les scènes où les enfants utilisent des mots de leur sociolecte et le professeur les rabroue en leur demandant de « parler français » sans que le film n’interroge jamais précisémment ce qu’est le français et quelles sont ses frontières. Est-ce le français que l’on apprend à l’école ? Non. Nous n’apprenons pas toutes les subtilités et les exceptions du français à l’école. En fait, les linguistes vous le diront : tout le monde fait des fautes. Même les correcteurs. Est-ce le français prescrit par l’Académie française ? Ce français-là contient une grande part d’arbitraire qu’il serait bon de remettre en question. Est-ce celui contenu dans les dictionnaires, comme semble l’affirmer le très utilisé argument « ce mot n’existe pas, il n’est pas dans le dictionnaire » ? Mais le Larousse et le Robert n’arrivent pas à se mettre d’accord sur l’orthographe de très nombreux mots (comme « boloss » ; oui, moi je l’écris comme ça). Et que faire des néologismes qui finissent pas passer, avec le temps, dans les dictionnaires ? Zéro, ersatz, chiffre, yaourt, carnaval, etc. Tous ces mots ont été, un jour des néologismes provenant de l’arabe, de l’allemand, de l’italien ou du bulgare.

Difficile de définir vraiment ce qu’est « le français » ; quelles sont ses frontières. Et pourtant, inlassablement, l’École continue d’enseigner comme s’il était clair que certains mots, certaines règles en faisaient partie, quand d’autres non alors que la réalité est beaucoup plus floue…

Un autre éducation est-elle possible ?

Oui, bien sûr que oui. Des anarchistes l’ont théorisé (Célestin Freinet, par exemple) et ces méthodes d’enseignement non-cohercitives ont pu être mises en place dans le Lycée autogéré de Paris, par exemple. Sauf que cet enseignement bienveillant possède un inconvénient de taille. Il présuppose, pour l’enseignant, l’abandon de sa position (symbolique) d’autorité inquestionnable et l’adoption d’une position de camarade enseignant à égalité avec ses camarades étudiants. Et ça, beaucoup de professeurs en sont probablement incapables.

L’État, la bourgeoisie aussi, s’y refusent aussi, bien que ces méthodes d’enseignement bienveillantes aient fait leurs preuves. Car, bein évidemment, l’École, comme le montre ce film, est une institution politique. Refuser d’y parler de politique, refuser de remettre en question la verticalité de sa structure, ce sont des choix politiques. Car dès lors qu’on accorde aux apprenants et apprenantes la capacité et la liberté de questionner l’autorité, de questionner les enseignements, alors il devient nécessaire de justifier la légitimité de cette autorité et de ces enseignements. Et cela, tout en participant à placer les étudiants et étudiantes en position de citoyens politiques légitime, conduit à devoir découvrir les choix politiques qui sont à la base de la structure de l’école et des choix d’enseignements qui y sont faits. En bref, cela donne un pouvoir politique aux enfants et adolescents qui viennent apprendre à l’école. Et il y a fort à parier que la bourgeoisie, qui voudrait qu’elle ne fût qu’un lieu produisant de dociles opérateurs de leurs moyens de production, soit chafouine face à la possibilité qu’elle puisse former des citoyens et citoyennes politiques à même de remettre en cause, par des discours construits et éloquents, sa position de classe dominante…

Notes de bas de page :
  1. L’un des collèges les plus réputés de France. Un collège privé, accueillant des enfants issus de la grande bourgeoisie, bien sûr.

Déjà 2 avis pertinents dans Entre les murs ; un problème de pédagogie

  • lecteur
    Je vais être dur mais ton article montre clairement les dérives du libértarisme et transpire la haine de classe envers la bourgeoisie.

    Les règles et les normes existent pour permettre aux personnes très différentes de vivre ensemble, de partager une culture commune et de pouvoir se comprendre. Si tu commences à ajouter les spécifités d’une minorités, puis d’une autre, puis d’une autre, la langue française devient une langue fourre tout ou tout le monde est libre d’écrire son patoie à lui et d’appeler cela du français. Tu ne peux pas tout mettre dans une langue, si tu regardes le français, il y a déjà énormément de règles et de vocabulaire. En enlever ne ferait pas de mal d’ailleurs.

    Un film présente la VISION QU’UN REALISATEUR veut transmettre, il ne dit pas que c’est la réalité, et s’il le dit, c’est par définition faux. Un film est une représentation d’une chose.

    [[C’est très visible dans les scènes où les enfants utilisent des mots de leur sociolecte et le professeur les rabroue en leur demandant de « parler français » sans que le film n’interroge jamais précisémment ce qu’est le français et quelles sont ses frontières.]]
    N’est-ce pas justement la réalité ? :) Ce reproches ne concerne pas le film mais la réalité qu’il présente et avec laquelle tu es en souffrance. Oui l’école justifie peut ou pas son existence aux enfants. C’est ainsi malheureusement.

    Car dès lors qu’on accorde aux apprenants et apprenantes la capacité et la liberté de questionner l’autorité, de questionner les enseignements, alors il devient nécessaire de justifier la légitimité de cette autorité et de ces enseignements.
    Car tu penses que des étudiants sont en mesures de se rendre compte pourquoi l’école est importante pour eux et, surtout, d’agir en conséquence ? Est-ce que tu aurais étudié à l’école si cela n’avait pas été obligatoire ? Avec autant de rigueur ? à 6 ans ? à 10 ans ? à 13 ans ? à 16 ans ? Le problème c’est que ces autres là, ils ont besoin de ce que l’école leur apprends pour survivre. Dans notre monde, si tu as pas de bagage intellectuel tu ne t’en sors pas. Bienvenue dans la réalité.

    On est dans une société très tolérante où ce qui ne contribuent pas à la société ne sont pas sanctionnés pour ça. Le problème est que la société assume ces personnes, les entretiens, leur donne des moyens de vivre, de se déplacer, de la santé et pleins de choses. Si tu vis dans un pays, tu es redevable à ce pays de beaucoup de services qu’il te donne. Droit et devoir.

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