Linux sur le desktop

Je dédicace cet article à Cyrille et Ice. Cyrille qui n’arrête pas d’arrêter de parler du desktop Linux, Ice qui m’a chatouillé suffisamment pour que je cesse de leur laisser tout dire sans les confronter à des arguments contraires et participer à une saine émulation. Des échanges, des arguments, du respect, ce que le blogging devrait être. Personne n’a vraiment raison ou tort, à croiser les points de vue on dessine mieux ce que l’on voit.

Linux, Linux, Linux ou Linux

Je vais débuter en précisant une chose fort importante, je ferai une distinction entre plusieurs sujets dont nous avons la très mauvaise habitude de parler en disant simplement Linux :

  • Le noyau Linux : Le kernel
  • Les distributions Linux : Debian, Ubuntu, CentOS, Arch, Mageia…
  • Le bureau Linux, Linux sur le desktop : Distributions Linux comprenant des environnements de bureau (Gnome, KDE, Xfce, Mate…) et les logiciels

Le noyau Linux a gagné

On disait déjà que le noyau Linux était partout : routeurs, serveurs, systèmes embarqués, smartphones. Il débarque à présent sur Windows (90% du marché desktop), c’est une victoire éclatante, totale. Microsoft intégrant le noyau Linux, témoigne de sa place importante pour ne pas dire indispensable dans l’IT. Sur le cloud de Microsoft Azure, Linux est sur la moitié des machines virtuelles. Sur The Cloud Market on peut se faire une idée de l’utilisation écrasante des distributions Linux pour Amazon EC2. Rappelons également que tous les chromebooks lancés en 2019 seront compatibles avec Linux.

Les linuxiens peuvent et devraient se réjouir : Le noyau Linux n’a jamais autant été utilisé, diffusé et proche de l’utilisateur final.

Linux se professionnalise bien plus qu’il ne se démocratise

Le noyau Linux est utilisé de plus en plus par les professionnels et l’industrie, le desktop Linux touche difficilement plus d’utilisateurs.

Le noyau Linux débarquant sur Windows n’intéressera que les professionnels, les geeks, les passionnés. Mme Michu n’installera pas WSL et ne se servira pas du noyau Linux sur son Windows 10, très clairement le travail de Microsoft autour de Linux est à destination des professionnels. Il ne faut pas s’attendre à ce que les parts de marché du bureau Linux augmentent suite à l’arrivée du noyau Linux sur Windows 10.

Pendant ce temps les chiffres (1, 2, rares et discutables pour certains) tablent autour de 3% pour Linux sur le desktop. Je vais être dur parce qu’apparemment une majorité de linuxiens ne veut pas l’accepter : C’est que dalle, on parle de 3% pas de 20%.

Sur ces 5 dernières années :

  • La vente liée était une bataille importante, elle a été perdue. Tant que l’utilisateur final achètera un pc avec Windows installé dessus, aucune chance de « percer » pour Linux sur le desktop
  • Linux sur le desktop est à 3%, on a pris 1% en 5 ans (en comptant Chrome OS…)
  • Windows 10 ne respecte pas votre vie privée, les utilisateurs ont voté, ils l’utilisent quand même et n’ont pas migré massivement vers une distribution Linux
  • La migration d’un ancien PC sous Windows vers Windows 10 est proposée gratuitement, excellent coup de Microsoft
  • L’UEFI a compliqué l’installation des distribs Linux

La technique et l’humain

Lorsque je vois la question : Linux est-il prêt pour le desktop ? Je pense surtout qu’on parle technique : Est-ce que techniquement Linux est prêt pour le desktop ?

Oui, depuis un moment. D’un point de vue distributions Linux nous avons un choix pléthorique, de grosses écuries (Debian, Ubuntu, CentOS, Arch…). Nous avons aussi pas mal de distribs avec environnements de bureau qui se prêtent à une utilisation professionnelle, un large choix logiciels, des communautés importantes et pérennes, des systèmes largement stables, une excellente sécurité… mais est-ce que Linux est à la hauteur de Windows ?

Il ne suffit pas d’être à la hauteur, il faut être meilleur. On ne change pas pour équivalent mais pour mieux. LibreOffice fait le job mais il restera en-dessous de Microsoft Office pendant encore longtemps.

Il faut comprendre et accepter, les dés sont pipés : 1/ Une majorité de logiciels et d’outils (notamment professionnels) ne fonctionnent que sur Windows 2/ Les formats de fichier propriétaire emprisonnent utilisateurs/entreprises/politiques : Microsoft Office (.docx, .xlsx), Adobe (.psd, .ai) 3/ Les utilisateurs sont formés ou travaillent sur Windows et Microsoft Office, lorsqu’ils achètent un PC perso il est sur Windows 4/ La domination de Windows sur le desktop depuis 20 ans 5/ On reproche aux logiciels libres leur manque de finition sans les soutenir financièrement, il manque des profils pointus comme des graphistes, des traducteurs, des UI/UX designers… on a surtout des devs

C’est déjà une situation très compliquée sur ces points mais pour moi le vrai problème est le coût du changement. Pourquoi un utilisateur lambda passerait à une distrib Linux si il est satisfait de Windows (que son entreprise utilise et paye) ? C’est un effort colossal de formation, compréhension, changement que peu de personnes sont prêtes à faire sans y être obligées (en général professionnellement). On parle énergie, temps et motivation aussi ? La complexité de l’outil informatique est trop importante face à la volonté et capacité des individus.

La vérité est ailleurs

1,3 milliards de PC en usage, 3,5 milliards de smartphones en usage. Sur le web 50,7% du trafic mondial provient du mobile, 45,5% du desktop. Le smartphone est le nouveau pc.

Il n’est pas question de dire que le PC va disparaître, certains usages ne peuvent pas être remplacés (utilisation professionnelle, bureautique, graphisme…) mais aujourd’hui l’équipement roi est le smartphone. L’enjeu n’est plus le PC, les ventes stagnent, les usages ont évolué. On se tourne de plus en plus vers le web et le cloud : Bureautique avec Office 365 par exemple, Gmail comme client de messagerie, Google Stadia pour jouer. Le smartphone permet de nouveaux usages : Photos, vidéos, jeux en réalité augmentée, GPS, communication… et on l’a partout avec nous.

L’utilisateur, ses besoins, ses usages

Comme d’habitude on se focalise sur l’outil alors qu’on devrait parler des besoins et usages de l’utilisateur. On continue à parler de Linux sur le desktop alors que le monde à les yeux rivés sur son smartphone. Pour gagner une guerre, il faut au moins être sur le champ de bataille, pas à côté.

Il est naturel lorsqu’on apprécie Linux qu’on souhaite voir progresser son usage dans le cœur des utilisateurs. La distinction doit pourtant être faite entre installer un Linux sur un poste ET avoir un utilisateur satisfait et autonome sur Linux. Le nombre d’utilisateurs m’importe peu, leur satisfaction totalement. Je suis un utilisateur du bureau Linux, je passe plus de 50 heures par semaine dessus à titre personnel et professionnel. Je suis extrêmement satisfait alors même que cette semaine mon système était pété.

Le choix de l’utilisateur doit être éclairé, sa migration désirée et volontaire, il ne doit pas être contraint mais soutenu, pas jugé mais écouté. Le desktop devient un marché de niche où ne resteront bientôt plus que professionnels, passionnés, power-users, créatifs. Les logiciels cédent place au cloud, web, apps. Pour une majorité d’utilisateurs leurs usages se résument à surfer, écouter de la musique, regarder des vidéos, jouer casual. On allume de moins en moins un PC pour ça.

Déjà 10 avis pertinents dans Linux sur le desktop

  • Je suis quasiment d’accord pour tout, je pense toutefois que le marché du PC va continuer de tourner jusqu’à ce que les smartphones arrivent à se transformer en PC comme c’était le cas avec les projets d’Ubuntu (Edge) et de Microsoft (continuum). La force du smartphone c’est d’avoir aussi réussi la performance d’avoir dans la main un téléphone, un GPS, un appareil photo, celui qui le fera devenir PC prendra certainement un tour d’avance.

    Pour le reste comme je l’expliquais dans le seul thread du forum que j’ai fermé, tout ceci n’est qu’une question de ressenti, d’expérience personnelle et certainement d’âge, de moment dans sa vie. J’ai passé l’âge je crois de me casser la tête avec ça, car passer des heures à comprendre pourquoi après une mise à jour mon système ne fait plus ce qu’il faisait avant, je trouve aujourd’hui que c’est une perte de temps.

  • Au delà de l’opposition PC/smartphone.
    Un utilisateur qui utilise une machine sans aucun blob/firmware/logiciel proprio c’est gentil mais si derrière c’est pour être constamment dans les dents de Facebook Google et n’importe quel autre fournisseur de service cloud, il ne sera pas plus libre que s’il était sur une machine Microsoft avec Windows 10, Photoshop, Chrome et compagnie…

    Y-a-t-il vraiment un intéret à tenter de libérer les gens pour les laisser traîner dans leur web proprio ?

  • Je pense surtout que tu réponds majoritairement à côté de la question … bien qu’en donnant des éléments avec lesquels je suis d’accord :
    https://cheziceman.wordpress.com/2017/05/20/blog-pourquoi-le-logiciel-libre-ne-dominera-pas-le-monde-a-moins-que/
    La bataille n’est plus dans le desktop, c’est sûr mais ça reste encore un marché de niche à 1 ou 2% dans lequel le libriste peut se replier (non, on ne peut pas inclure le mal Chrome OS). Le smartphone est une bataille déjà perdue, il faudrait trouver autre chose comme support…Un peu ce que dit Cyrille, une évolution. Si c’est pour que le smartphone fasse comme une switch, ça a déjà été proposé par Motorola et d’autres, sans succès… parce qu’aussi Android n’était pas adapté au desktop.
    Comme Lord le signale, le problème n’est plus seulement l’OS et le terminal, il est dans ce qu’on en fait derrière. Si c’est pour utiliser du libre n’importe comment, c’est aussi perdu. D’où cette longue bataille pour éduquer un utilisateur qui n’a pas envie d’être éduqué.
    J’ai un peu la flemme (et d’autres billets sur le feu) pour développer complètement mais sur qu’on y reviendra.

    Maintenant, tu as évité de répondre à la question que je te posais, à savoir la cohérence spirituelle entre une Mint qui vise le desktop tout intégré et pas léger, et XFCE qui vise la légèreté, ce qui vaut quand même pour pas mal de distribs « petites filles ». Je fais bien une différence entre ce que l’utilisateur est libre de faire (on peut aussi s’amuser à changer le bureau windows par une autre surcouche, tiens) et ce que le créateur d’une distrib propose. Ma philosophie est toujours d’avoir un produit principal le mieux fini, et après, on voit ce qu’on peut faire.

  • Damien Delurier
    billet superbement illustré.
    Je confirme ta vision.
    J’ai récemment animé un atelier Scratch pour une classe de CM1 : les enfants avaient du mal à manipuler la souris et encore plus à taper au clavier. Par contre, j’ai bien compris dans leurs discours et l’évocation de leurs habitudes numériques qu’ils manipulaient des smartphones et des tablettes.
    Et de mon point de vue, cela rejoint ce que pense un certain nombre de personnes de notre communauté : l’usage des écrans tactiles est catastrophique car il n’apporte aucune plus value aux enfants alors qu’apprendre à utiliser un clavier et manipuler une souris, oui.
  • Sytoka
    > Rappelons également que tous les chromebooks lancés en 2019 seront compatibles avec Linux.

    Depuis quand les chromebooks ne tournent pas avec un noyau Linux ? Comme pour Android, c’est un Linux derrière (modifié pour Android)… Ne mélange t’on pas ici Linux et GNU/Linux ?

  • vzvzvz
    C’est rigolo de lire que Linux en desktop c’est stable quand quelques temps auparavant tu sort un billet qui mont que mint Xfce plante sur une mise à jour.
    Pour mon cas, installer Windows 10 m’a pris très peu de temps (W10 + Ninite) alors que je n’ai jamais réussi à résoudre 2 problèmes chiants sur Ubuntu en passant du temps dessus.
    Comme le dit Cyrille, c’est une question d’expérience perso : tu vas vite à résoudre TES problèmes, moi je vais plus vite sous W10.
    en quoi c’est mieux de savoir utiliser un écran tactile tôt plutôt qu’un clavier/souris ? Tu sais d’avance que dans la vie ces enfants n’auront jamais l’occasion d’utiliser leur savoir acquis (le tactile) ? Qu’ils n’auront pas l’occasion d’apprendre en son temps le clavier/souris ?
    S’ils apprennent le clavier/souris pour surfer sur Facebook et le tactile pour du pédago, c’est moins bien ?
    Jamais compris l’intérêt de Scratch, mon fils s’amusait avec quand il en faisait en cours, intérêt zéro absolu. Par contre il te poutre à Fortnite et se construit une partie de sa vie sociale avec, c’est mieux ou moins bien que Scratch ? (clavier/souris versus manette PS4).
    Et après on se demande pourquoi il y a des querelles entre libristes mais on ne se demande pas si on ne fait pas presque du mépris de classe ou équivalent.
  • : salut ;)

    : scratch intérêt zéro absolu ? et pourquoi pas python tant qu’on y est ? ;)

    Le noyau linux est hyper stable, il suffit de regarder dans le monde des serveurs et de l’embarqué.
    Par contre les distribs desktop kikoulol peuvent avoir des ratés au niveau des MAJ, ça c’est pas nouveau…
    Windows 10 a mis des millions de machines en rade à cause de mises à jour foireuses, ça non plus c’est pas nouveau.
    Mais sous linux il est tout à fait possible de désactiver les MAJ pour éviter ce genre d’incidents (je dis pas que c’est bien, mais l’utilisateur reste libre de le faire)

    Bref, aucun système n’est parfait mais essayons au moins de privilégier des solutions durables dans le temps (UC réparables et upgradables par exemple)
    Les poubelles sont pleines, les ressources diminuent à vue d’œil, la pollution se généralise…

    : Merci pour ce billet

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