Linux se professionnalise

Revenons à mon précédent article Qui croit encore à la percée de Linux auprès du grand public.

On ne peut pas contester mes 4 remarques : Vente liée pc et os, le lobbying de Microsoft, L’UEFI et secure boot, la campagne de gratuité de Windows 10. Ce ne sont pas des appréciations de ma part, ce sont tout simplement des faits. Au contraire « Le nombre d’installations de Linux ne s’est pas envolé sur pc », c’est une appréciation de ma part (puisqu’il n’y aucun chiffre réellement fiable).

La conclusion à tirer de tout cela, c’est qu’on est sur la mauvaise pente pour l’installation de Linux sur pc. Ça se complexifie (UEFI et secure boot), Microsoft joue toujours très bien de son lobbying et des habitudes des utilisateurs, le passage à Windows 10 gratuit a été un très bon argument marketing enfin la décision de la CJUE sur la vente liée pc et os est une étape majeure. On n’est pas dans le statut-quo, la situation ne s’améliore pas, elle se dégrade. Si certains lecteurs ont vu passer de bonnes nouvelles pour faciliter et démocratiser l’installation de Linux sur les postes du grand public, merci de laisser vos commentaires.

On peut simultanément constater que personne ne dit que Linux est un flop dans le monde professionnel informatique. De plus en plus de techniciens, ingénieurs, développeurs utilisent Linux professionnellement sur leurs serveurs et sur leurs postes de travail. Les compétences Linux sont activement recherchées sur le marché du travail, la majorité des serveurs web et des supercalculateurs sont sous Linux, c’est Linux qu’on utilise majoritairement dans le cloud pour sa souplesse (automatisation, configuration) et la conteneurisation (Docker). On pourrait ajouter à cela l’embarqué, les objets connectés… Je vais très rapidement à l’essentiel car nous serons tous d’accord là-dessus : Linux est une énorme réussite dans le monde professionnel informatique.

Il est impératif de comprendre (ou accepter c’est selon) : 1/ L’industrie informatique, c’est du BUSINESS 2/ Les différents acteurs de cette industrie (clients, entreprises, développeurs, utilisateurs) ont des visions et des buts différents. Un constructeur (Lenovo, Dell, HP) se moque bien de Linux si ça ne l’aide pas à vendre. C’est une évidence, le but de ces entreprises est de gagner de l’argent, elles ne sont pas là pour faire plaisir aux Linuxiens

Aujourd’hui Linux se professionnalise bien plus qu’il ne se démocratise. Les gens sont de moins en moins intéressés (et préoccupés…) par le système d’exploitation. Il y a d’abord le fait d’une explosion de système d’exploitation différents (voir Fragmentation). Il y a des usages différents : Smartphones, tablettes. Il y a une génération biberonnée aux réseaux sociaux, à YouTube, aux services web et pas à « l’ordinateur de papa » dans le bureau. L’industrie commence à habituer les utilisateurs à ce que le système d’exploitation soit masqué voire invisible, on se concentre sur l’usage. Sur iOS ou Android les actions principales reviennent à installer, lancer, désinstaller des applications sur l’écran d’accueil. On ne sait pas comment ça marche, on ne voit pas comment ça marche au contraire d’un Windows (base de registre, services lancés au démarrage, etc.) ou d’un Linux.

C’est la même bascule qui s’opère pour le cloud. L’utilisateur a un besoin, pourquoi devrait-il installer, maintenir, sécuriser un outil sur son poste alors qu’il est disponible « gratuitement » en ligne ? L’erreur c’est de considérer que le système d’exploitation est important pour l’utilisateur. Bien sûr que non… mais ça l’est pour les informaticiens. Si j’ai besoin de modifier un document Word il me faut un pc, un système d’exploitation, Word/LibreOffice… ou sinon un navigateur (sur n’importe quel appareil) et une inscription sur Office Online. Il y a bien des serveurs qui tournent dans le cloud mais qui se préoccupe du système d’exploitation dessus ?

Si il faut enfoncer le clou, on peut parler de la conteneurisation. Un service dispensé par une image Docker, ces conteneurs tournent sur Linux et Windows (Server 2016), qui va se soucier du système d’exploitation hormis les techniciens ?

L’utilisateur veut retoucher une photo (besoin), il doit utiliser un logiciel (outil). Pour utiliser GIMP, il doit installer un système d’exploitation. Dans cette histoire, le système d’exploitation n’est qu’un moyen – et un surcoût – pour atteindre son but (utiliser GIMP pour retoucher sa photo). Pourquoi un surcoût ? Car l’utilisateur voit la sécurité, l’hygiène de son système d’exploitation, les mises à jour à faire comme des obligations et des contraintes, ça ne lui apporte rien. En réalité ça lui coûte du temps, de l’argent, ça lui demande des compétences, de l’attention.

Le système d’exploitation est voué à disparaître de l’attention de l’utilisateur, on est dans l’abstraction. Si Microsoft considère Windows 10 comme un service, qu’Apple a rendu ses mises à jour gratuites sur OS X, que Google/Apple/Microsoft poussent à la convergence tablettes/smartphones/pc, c’est parce qu’on bascule d’une logique « produit » à une logique « service ». C’est bien plus subtil, rentable et l’utilisateur est bien mieux emprisonné.

Dans tout cela, le « vieux » desktop Linux est dépassé.

Déjà 15 avis pertinents dans Linux se professionnalise

  • A1
    J’ajouterais volontiers que c’est le desktop *tout court* qui est dépassé. Il est toujours utile voire essentiel, mais l’enjeu, en particulier économique, n’est plus vraiment là. Dès lors, je trouve assez souhaitable qu’à de rares exceptions près, la communauté autour de GNU/Linux ne s’épuise plus à essayer systématiquement d’atteindre un objectif qui n’est pas nécessairement à sa portée et dont la pertinence décroît avec le temps.
  • pierre
    Personnellement, je ne m’attend pas à un changement significatif dans les parts de marché de Linux sur desktop dans les années à venir. J’espérais une évolution positive après les révélations de Snowden et puis avec le développement important du jeu vidéo sous Linux poussé par Steam, mais force est de constater que ça n’a pas été le cas.

    Cependant, je ne partage pas ton pessimisme: malgré que la situation se dégrade et les faits que tu exposes, les statistiques tendent vers une très légère augmentation des parts de marchés de Linux sur desktop, d’ailleurs Linux aurait passé la barre des 2% de part de marché sur desktop en juin 2016 pour la première fois et semble depuis se maintenir au-dessus de ce seuil symbolique. Rien de significatif et ce d’autant plus que Windows progresse également dans le même laps de temps mais ça relativise un peu tes conclusions.

    Le point que tu abordes dans ce billet: « la professionnalisation » de Linux est justement un élément qui devrait positivement influencer l’adoption de linux sur desktop: les gens utilisent ce qu’ils connaissent. On leur donne du Windows au boulot et sur les PC qu’ils achètent donc ils utilisent Windows. Si de plus en plus de (jeunes) développeurs et administrateurs systèmes se mettent à utiliser Linux au boulot, ils pourraient également l’adopter à la maison (et donc peut-être également certains membres de leur famille). Il y a 10 ans, les admins systèmes Linux ne travaillaient qu’en mode console, je constate qu’il y a de moins en moins de serveurs Linux qui n’ont pas d’environnement graphiques.

    L’autre point que tu n’abordes pas est l’adoption de plus en plus fréquente de formats ouverts et de systèmes Linux dans certaines administrations publiques. Ici aussi des personnes entament une transition vers des logiciels libres dont Linux et donc un petit pourcentage pourrait l’adopter en-dehors du milieu strictement professionnel.

    Une dernière remarque: on constate que les ventes d’ordinateurs ne font que baisser ces dernières années, les smartphones, tablettes, … font que les PC ne sont plus aussi importants qu’avant et que en moyenne les gens investissent moins d’argent dans leur ordinateur (puisque le budget est limité et qu’on achète plus d’appareils différents). Cela signifie que le marché de l’occasion à une petite carte à jouer. Si de nombreuses associations se mettent à reconditionner des ordinateurs et utilisent Linux pour éviter des coûts de licences Windows, certains utilisateurs pourraient adopter l’OS au manchot.

    Rien de ceci ne révolutionnera les choses bien entendu mais ça relativise un peu… rien n’est complètement noir ou blanc!

  • Attention, spoiler: Il y aura une analogie informatique/bagnole dans ce com.

    « L’erreur c’est de considérer que le système d’exploitation est important pour l’utilisateur. Bien-sûr que non… »

    Bien-sûr que si. Sauf que l’utilisateur s’en fout/ n’en a pas conscience. Si il doit choisir une voiture, qui ne lui sert qu’a aller d’un point A à un point B au final (besoin), il ne devrait pas s’occuper du modèle, de la marque, des option. Une Ferrari ou une Twingo feront le même boulot.
    Sauf qu’un utilisateur à « conscience » que ce n’est pas pareil (culture). Il sait qu’avoir des bons freins, des airbags, l’ABS c’est essentiel. Tandis que sur un terminal (smartphone, ou PC), c’est pas naturel, c’est pas « culturel ». L’utilisateur manque de sensibilisation percutante. L’utilisateur manque de culture.
    Bref, l’utilisateur est un con.

  • Olio
    Sauf que la voiture, de quelque marque qu’elle soit me permet toujours les même choses : allez d’un point A vers un point B, c’est à ça que sert la voiture en premier lieu. Ensuite, viennent les options qui changent, et que l’on choisi en fonction de ses moyens/besoins/.
    Et il n’y a pas de problèmes d’interopérabilité de ma voitures avec celle de mes amis/collégues/… donc je peux choisir le modèle et la marque en fonction de mon gout/culture.
    Pour l’informatique et la téléphonie c’est plus problématique : si je veux la dernière appli que tous mes copains ont, il faut que j’ai un ordiphone avec un OS qui permet cette appli, là on a le problème des logiciels qui ne sont pas multi-plateforme.
    Pour l’ordi le problème est plus sur l’intéropérabilité des fichiers/données.
    Un ordinateur est un outil qui devrait comme tout les outils se plier à la volonté des ses utilisateurs mais les utilisateurs en majorité sont dépassés.
    On passe un permis voiture, j’ai toujours été étonné, qu’il n’y ai pas de cours proposés a chaque vente d’ordinateur ou de téléphone mobile, d’initiation ou plus, chaque utilisateur débutant doit se débrouiller face a ces objets complexes.
    Bref l’utilisateur n’est pas un con, il n’est pas formé.
    et c’est pas avec le contrat window/education nationale, que l’on va apprendre enfin à utiliser « un » outil, ça sera plutôt « certains » outils…
  • Ookaze
    N’aies crainte ! La communauté autour de GNU/Linux n’existe pas, et aucune des nombreuses communautés autour de GNU/linux n’a jamais eu la moindre intention d’installer Linux sur le desktop, et aucune d’elle ne l’a jamais tenté. Tout au plus peut-on citer des entreprises comme Ximian ou Canonical, mais des communautés, je n’en ai jamais vu autour de ce sujet, parce qu’il n’a aucun sens pour une communauté.
  • Ookaze
    > Il y a 10 ans, les admins système Linux ne travaillaient qu’en mode console, je constate qu’il y a de moins en moins de serveurs Linux qui n’ont pas d’environnement graphique.

    Les deux propositions dans ta phrase sont totalement fausses.

    Les admins système ne travaillaient pas qu’en mode console il y a 10 ans, et le moins en moins de serveurs Linux sans environnement graphique est également totalement faux. Dans quasiment tous les cas cela ne sert à rien, ce sont des problèmes de sécurité latents, et même s’il y a des admins systèmes nuls qui n’ont d’admin que le nom, ce n’est heureusement pas la majorité sous Linux.

    Et cette histoire de 2 % montre encore une fois comme le contrôle de masse qui consiste à répéter un mensonge suffisamment pour que les gens finissent par le croire, fonctionne bien. Il suffit pourtant d’aller voir la méthodologie utilisée pour voir que cette statistique ne sert à rien, mais bon, c’est difficile d’aller se documenter.

  • Ookaze
    Bien sûr qu’il ya des problèmes d’interopérabilité dans les voitures, il n’y a que ça : on ne peut pas échanger les pièces entre deux modèles ou marques différentes les yeux fermés, jusqu’aux roues, et parfois, même le carburant on ne peut pas l’échanger. Pour l’utilisateur, selon le type de boîte de vitesse, le type de commande d’éclairage, le type de frein à main, le type de pédales… le fonctionnement peut radicalement changer. Sauf que l’utilisateur est un minimum formé.

    Dans l’informatique, l’utilisateur est effectivement complètement inculte, et plus grave : il utilise un outil dont il ne sait pas se servir.

    C’est le cas de la majorité des gens malheureusement. C’est pourquoi on peut lire des aberrations telles que l’utilisateur n’aurait pas besoin d’OS et que ce n’est pas important pour lui. Il faut bien comprendre que sans OS, aucun mécanisme d’entrée/sortie ne fonctionne, car c’est l’un de ses boulots : le noyau récupère les événements, mais ne sait pas quoi en faire, seul l’OS le sait.

    Ce qui est décrit là, c’est la disparition de tous les OS propriétaires, et l’avènement des OS libres, et surtout de GNU/Linux. Il faut bien comprendre que l’existence de tous les OS propriétaires est liée à une entreprise : si celle-ci disparaît, l’OS meurt avec. Ce n’est pas le cas des OS libres.

    Même avec sa faible histoire, l’informatique a déjà vu disparaître de nombreux OS propriétaires. Étant incultes et n’ayant vécu que dans l’ère MS, certaines personnes croient (parfois sans s’en rendre compte) que des boîtes comme MS (ou Google, Oracle, IBM…) sont immortelles et existeront toujours, et que le Logiciel Libre disparaîtra juste parce qu’il sera oublié (c’est vraiment ne pas connaître le monde informatique). Moi je pense le contraire, en me basant sur l’histoire et mon vécu, l’avenir nous dira qui avait raison.

  • alex
    Je suis un peu étranger a ces considérations car pour ma part je suis passe a Linux il y 2 mois après plus de 20 ans de Windows (utilisation intensive & programmation). Je pense qu’il y a une nouvelle vague, beaucoup de monde autour de moi migre ou l’envisage sérieusement et ceci pour être dans un univers plus intégré avec github, Python ou R et profiter des derniers algos en Machine Learning notamment. Ce n’est pas du grand public mais c’est l’OS de référence pour programmer et partager. La mutualisation de packages et le développement en commun naturels a linux ont actuellement le vent en poupe car c’est une manière tres performante et economique de développer.
    De plus depuis Windows 10, on sait que MS recupere énormément de donnees et sans que cela provoque nécessairement une urgence a migrer cela pese dans la decision de ceux avec qui j’en parle.
    Linux n’est pas et ne sera pas l’OS de monsieur tout le monde mais des derives bases sur le kernel peuvent le devenir comme ChromeOS. D’autre part certaines distrib perdurent comme references de performance et de fiabilite, ou dans le cadre d’applications particulières. Raspberry Pi connait un succes certain, CentOS est une reference pour les serveurs par exemple.
    Donc en conclusion linux reste et devrait rester une niche qui represente peut etre 2% du marche desktop, et effectivement je ne pense pas qu’il se democratise mais il reste tres dynamique et en mouvement. J’y vois un OS d’avenir plein de promesses. Pour vous donner un peu d’optimisme les stats montrent que l’utilisation de linux sur desktop a double ces 10 dernieres annees (pour passer de 1% a 2% ou de 2.5% a 5% suivant les mesures, les regions et les sources).

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