Politique

Dans les commentaires de mon billet sur Windows 10, je répondais à Damien : « Je pense que je vais écrire un article là-dessus car bizarrement nous sommes extrêmement nombreux à ne pas considérer le Libre comme quelque chose de politique. Pour être plus précis on évite que ça le soit pour nous, on désire rester dans une zone de confort geek et ne surtout pas basculer dans cet engagement politique. Mais à la fin si on veut y participer, y contribuer alors on fait de la politique. Encore faut-il l’accepter et l’admettre. J’ai visiblement du mal. »

Je suis à présent « marqué » politiquement, je m’engage publiquement dans certaines idées que je soutiens. C’est un fait que je ne peux pas nier. Je participe au Journal du Hacker, je blogue, j’échange dans les commentaires et par mail sur mes idées, réflexions, contradictions.

En fait il a été plutôt simple de comprendre pourquoi j’ai du mal à accepter et admettre que je suis dans une démarche politique. Parce que je déteste la politique, parce que je ne veux pas être « marqué » politiquement et parce que je n’y connais rien.

L’immense majorité des utilisateurs de GNU/Linux et des logiciels libres n’ont pas conscience des idées politiques de ces projets. C’est une bonne chose. Je prends GNU/Linux et les logiciels libres pour ce qu’ils sont, des outils. L’Homme en fait ce qu’il veut ensuite. Mais indéniablement ces projets sont portés par des démarches idéologiques et politiques.

L’immense majorité des utilisateurs ne veut pas entendre parler de ces idées, de cette démarche. C’est compréhensible et tout à chacun doit respecter leurs choix. Quand je prends un marteau pour l’utiliser, je me fous qu’il soit Made in France ou Made in China, c’est un outil. Mais quand je l’ai acheté j’ai fait un choix, celui du moins cher (probablement le Made in China), celui local qui j’espère fait travailler des gens en France (Made in France).

On a donc plusieurs courants politiques dans le Libre, les modérés qui désirent respecter le choix de chacun et de tout utilisateur, les apolitiques qui utilisent juste les outils, qui ne se préoccupent pas de tout cela et se moquent gentiment du sérieux des autres enfin les extrémistes qui ne veulent et ne jurent que par le Libre.

Le Libre est incontestablement politique de par les idées qui l’on vu naitre mais encore davantage par sa méthode de fonctionnement, son « économie ». Tu utilises des logiciels libres et/ou GNU/Linux, tu t’y intéresses, tu embrasses les idées, tu contribues et là c’est devenu politique. Analysons deux secondes l’économie du logiciel libre : c’est le partage, le commun, la redistribution. Quand tu veux y participer tu y contribues : contribution. C’est dans les gènes du logiciel libre de pousser ceux qui ont reçu à donner à leurs tours. C’est ça l’économie du logiciel libre, le partage, redonner ce que tu as reçu, la richesse apportée par une personne profite à l’ensemble de toutes les autres.

Le point de bascule est donc l’engagement, la contribution. J’ai personnellement dépassé ce point avec l’article Plan de domination du monde je pense. Une fois que tu contribues, tu fais de la politique.

Pourquoi autant de dédain envers la politique ? Je fais une supposition, l’écrasante majorité est apolitique, ce sont les utilisateurs simples qui utilisent l’outil et se désintéressent complètement de ce qu’il y a derrière. Les modérés et les extrémistes sont moqués pour leurs sérieux, pour qui se prennent-ils ? Non mais on s’en fout !

Les modérés sont les plus aptes à accueillir et communiquer. Les extrémistes sont ceux qui font le plus avancer le mouvement car ils sont intransigeants sur leurs idées (et souvent sur leurs outils), ne pensent qu’à ça, font tout dans ce sens là.

Aujourd’hui la problématique que nous avons c’est que chacun critique les autres alors que nous sommes tous nécessaires au fonctionnement du système, nous sommes tous le maillon d’une même chaine. Sans utilisateur aucun intérêt de faire des outils, sans modérés aucune chance que les nouveaux utilisateurs soient accueillis et épaulés, guidés. Sans extrémiste aucune idée politique, aucune impulsion.

Le principal problème que nous avons n’est pas les extrémistes, notre manque de communication et de visibilité, c’est notre absence de cohésion et notre incapacité à ne pas critiquer chaque courant politique. Nous devrions moins penser et juger et davantage faire ensemble. Le respect vient bien plus des actes que des paroles. Respect, confiance, responsabilité : http://www.bloglibre.net/post/2015/04/25/confiance-et-cercle-de-confiance. Je crois que j’aime ce programme politique.

Charles de Montalembert disait : « Vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s’occupe de vous tout de même. »


Un petit à propos afin de préciser que depuis un petit moment déjà, je fais relire certains de mes articles. Quelques personnes ont eu la gentillesse d’accepter et je voulais les en remercier ici.

Au départ c’est parti d’une idée de savoir si l’article était intéressant et ne recélait pas des erreurs. Ça s’est transformé avec le temps en un rituel, un contrôle de la qualité générale de l’article, une bonne excuse pour ouvrir une discussion. Ça rejoint également un peu ce que je dis, partager, ne pas essayer d’avoir raison mais d’avoir l’article le plus intéressant et complet possible. J’aime cette façon de faire, j’y ai pris mes aises et mes habitudes.

Je précise que ce n’est pas parce que les articles sont parfois relus que cela engage les relecteurs, ce n’est pas de la correction, c’est davantage de l’amélioration et de la précision. Je remercie donc A1, Damien, Cabernet, Augier de m’avoir aidé à améliorer mes articles.

A1 désirait apporter ces précisions à l’article :
Je crois que la notion de « bien commun » que tu soulèves est essentielle. La politique dans son sens courant s’est réduite depuis Thatcher et Reagan à « l’administration entrepreneuriale du bien public ». L’intérêt de l’état est donc devenu un intérêt particulier parmi d’autres, chacun de ces intérêts échouant à faire la promotion d’autre chose que d’eux mêmes. Irréductiblement, le bien commun s’est trouvé abandonné. Le logiciel libre en tant que logiciel n’a pas plus ni moins d’importance ou d’intérêt que tout autre logiciel. En tant que libre, par contre, il instaure un nouveau rapport de l’individu au collectif, à la possession, à la connaissance, à l’appartenance, et à l’engagement. Ces différents aspects sont éminemment – uniquement ? – politiques et nécessaires au vivre ensemble. Si notre société se délite et se tribalise, ce n’est pas tant parce qu’elle manque de biens publics ou de biens particuliers que parce que les capacités à vivre ce que nous avons de communs s’effritent.

Le libre a donc un message à la fois sociologique et politique extrêmement fort. Il n’est pas pour autant la solution miracle car il laisse béante des questions de gouvernances extrêmement importantes : entre autre qui fait quoi, qui peut décider de quoi, pour qui, quand et sur quelle base, et comment nous répartissons nous ensemble la richesse créée. En ce sens, le libre est une utopie car s’il ouvre la vision, il n’en trace pas le chemin. Pire : rien ne va dans le sens de répondre à ces questions car il peut être compris comme s’appliquant aux individus ou aux processus, ce qui fait émerger deux courants contradictoires et excessifs entre lesquels nous oscillons dramatiquement au point de nous rendre contre productifs : l’anarchisme libertarien et l’ingénierie sociétale. Pour ma part, je vois dans l’individualisme de nos sociétés tant décrié – et je crois à juste titre –, une opportunité incroyable de saisir l’importance de se regrouper, et la nécessité d’y arriver avec une obligation de résultat.

Déjà 17 avis pertinents dans Politique

  • Augier
    En fait, si l’on revient à la racine du mot la politique, c’est ce qui a trait à l’organisation de la cité (du grec πόλις, la cité). Par extension, c’est ce qui a trait à l’organisation de la vie en société. De ce point de vue, en fait, tout est politique. Le simple fait de discuter de la légitimité de faire payer les place de stationnement, c’est politique. Et pour les logiciels libres, c’est pareil. Choisir d’utiliser Linux et pas Google pour affirmer sont attachement à la vie privée, c’est politique car c’est un choix de vie en société.

    Du coup, dire que les gens sont apolitiques n’a pas de sens. Puisque le simple fait de vivre en société implique de faire des choix de vie en société, tout individu — à moins de vivre en ermite dans une forêt — fait de la politique quotidiennement. Alors d’où vient ce dédain envers la politique que tu fais remarquer ? J’ai ma théorie : c’est simplement un manque d’éducation politique. Le fait de faire de la politique, mais de n’en avoir pas conscience. Par voie de conséquence, l’idée que la politique est un domaine réservé à des professionnels de la politique. Professionnels qui ne cessent, année après année, de nous décevoir. La politique en est donc réduit à un jeu d’influence pratiqué par les starlettes du pouvoir. Jeu d’influence qui, en fait, n’a rien de politique. À leur contact, la politique, paradoxalement, se dépolitise pour ne laisser que des questions morales.

    Ce que les gens dédaignent, en fait, ce n’est pas la politique. Car ce que l’on appelle communément politique n’est pas la politique. Du coup, je pense que tu peux te rassurer sur ce point : si tu penses ne rien y connaître en quelque-chose, ce n’est pas en politique. Tout le monde est capable de faire de la politique. Car tout le monde est capable de s’intéresser à un sujet et défendre un choix de vie en société. Et, en fait, tout le monde le fait quotidiennement.

  • En réalité, il manque, à mon sens, juste quelques points essentiels dans les commentaires précédents. En voilà un : si chaque individu qui vit dans une société donnée peut bien avoir des idées sur telle ou telle chose concernant l’organisation de ladite société et peut, a priori, en discuter, tous ceux qui ont des idées et en discutent n’ont pas le pouvoir de changer ladite organisation sociale : tout espace politique, qui plus est, tout état est un espace divisé entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui s’y soumettent… Les deux ensembles peuvent bien entendu se recouvrir, plus ou moins, l’un et l’autre…
  • A1
    Je te rejoins Christophe : dans la plupart des sociétés il y a une partition entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent. Allons plus loin ensemble: le pouvoir lui-même est divisible. Nous connaissons par exemple bien l’exécutif, le législatif, la judiciaire, ou encore la presse. Des modalités de ces divisions découlent beaucoup des attributs de la société qui les opère. Sans même aller jusqu’à dire come Lessig que « Code is law », il est trivial de faire à titre individuel l’expérience que dans de plus en plus de domaines, le logiciel conditionne l’espace des possibles, et donc défini l’espace des impossibles. En ce sens, tout logiciel court-circuite potentiellement les sphères de pouvoir habituelles qui se retrouvent donc potentiellement inopérantes. En réalité, la frontière entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent se trouve floutée par l’ajout d’une dimension distinct: le logiciel, un 5ème pouvoir – et le réseau, un 6ème. Lorsque le pouvoir logiciel est captif des éditeurs de logiciels, ce sont eux qui s’arrogent de fait un pouvoir public. Lorsque la liberté associée au logiciel confère à chacun celle d’arpenter l’espace des possibles et de le faire advenir, celui qui s’exerce aux libertés conférées par les licences libres se retrouve de facto dans une action politique.
  • cep
    Sur le plan « intellectuel » je peux partager toutes les idées développées dans le billet et les différents commentaires. Avec une restriction de base tout de même, c’est le pragmatisme du Libre. Oui, le pragmatisme qui fait que, avant tout, un logiciel est fait pour répondre à un besoin en garantissant un code ouvert. Vont ensuite se regrouper autour de ce logiciel toutes sortes de personnes aux intérêts communs mais aux idées politiques bien variées. On voit d’ailleurs se regrouper autour de certains projets logiciels des groupes comme Google, Mozilla, des particuliers, développeurs individuels.

    Vouloir théoriser une forme de « politique » est dangereux et réducteur car ce n’est pas ce qui réunit les gens mais le but commun de faire un outil, même si cet outil pourra ensuite être exploité avec certaines idées politiques ou d’autres. Exemple l’épisode Diaspora sur lequel nous étions montés au créneau avec Christophe.

    La politique ou les politiques sont un possible du libre et non le but premier. Et donc pragmatisme avant tout.

  • cep
    Hello,

    Oui, je suis d’accord, il n’y a pas une idée directrice rigide et il y a certainement des ultras comme tu les appelles. Mais tant que la cohabitation est possible tout va pour le mieux même si on a tendance à créer une frontière entre les tenants du libre et ceux de l’open.

  • J’avais pris la précaution de dire qu’il y a plusieurs points essentiels qui avaient été laissés de côté. Les développer tous est long, très long mais… le second point essentiel que tu poses, A1, indirectement, par la multiplication des « pouvoirs » (tu en énumères six), c’est celui de la souveraineté ou, pour le dire autrement, la légitimité des volontés que tu désignes.
  • A1
    Je vois dans le logiciel un outil. C’est une solution à un besoin. C’est donc singulièrement pragmatique et relève du « faire ».

    A contrario, je vois dans le libre une organisation collective. En tant qu’organisation collective, en tant que façon de procéder, je crois qu’elle relève donc de la politique. Elle n’en n’est pas une idée, mais un fait: les licences font apparaitre une opportunité de fonctionnement collectif.

    C’est pour ça que j’écrivais que le libre est par définition un acte politique. Le logiciel, pas nécessairement, bien qu’il soit intrinsèquement pragmatique. Le logiciels et le libre peuvent se croiser, et peuvent exister l’un sans l’autre.

    Est-ce que c’est plus clair comme ça ?

  • A1
    Tout énumérer, c’est effectivement long. Comme toi je crois, il me semble qu’auprès de certains, c’est une valeur ajouté presque tangible. Du coup, autant couvrir grosso modo et revenir sur les points qui ne sont pas clairs.

    En amont de la multiplicité des pouvoirs se pose effectivement la question de la souveraineté, autrement dit de la légitimité de leur exercice. C’est d’ailleurs pour ça qu’il me semble que logiciel est révolutionnaire: il augmente de fait la puissance d’agir, ce qui contraint le pouvoir politique classique à lui courir après. C’est un peu la même chose en biologie, de laquelle à émergé la bioéthique pour essayer de résoudre cette tension en mettant en avant l’intérêt de tous et du vivre ensemble. De façon similaire, je pense qu’il manque à l’informatique une info-éthique, pour s’assurer qu’une augmentation de puissance d’agir qui serait captive d’un éditeur ne soit pas utilisée par ce dernier contre l’intérêt général ni celui de chacun.

    En attendant, le plus simple reste sans doute d’affubler un logiciel d’une licence libre: au lieu de s’assurer que le logiciel ne sera pas déloyal a priori, une telle licence permet à la communauté qui émerge de s’en saisir directement pour en assurer son propre usage, l’étudier, le partager et et l’améliorer. Je vois ça comme l’émergence d’une forme d » « info-éthique » directe, distribuée et auto-organisée (ou auto-non-organisée, ça dépend des jours ^^).

  • cep
    Je vois parfaitement le raisonnement.
    Pour autant j’ai du mal à dissocier politique et choix de société.
    Or j’apprécie trop dans le Libre les possibles brassages de cultures, de besoins différents, pour tenter de regrouper le tout sous une bannière de vouloir de la politique, quelle qu’elle soit.
    À cela je préfère le terme bien vague d’auberge espagnole, ou chacun y trouve ce qu’il veut bien.
  • En fait, en mettant en avant le pragmatisme, tu te mets du côté des utilisateurs et/ou des modérés. Tu rejette plus ou moins les ultra-libristes.

    Pourtant, comme le signale Cascador, aussi désagréables que soient ces gens (parfois… il y a aussi plusieurs catégories d’ultras), ils sont quand même un peu nécessaires.

  • En fait il a été plutôt simple de comprendre pourquoi j’ai du mal à accepter et admettre que je suis dans une démarche politique. Parce que je déteste la politique, parce que je ne veux pas être “marqué” politiquement et parce que je n’y connais rien.

    Une phrase qui décrit bien mon état d’esprit face à d’autres pans et aspects de la vie en société, notamment l’entreprise. Je garde de côté.

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