Philosophie du logiciel libre, vous dites ?

Pour ceux qui me suivent depuis le blog-libre initié par Cyrille Borne, ils doivent se souvenir de Christophe Gallaire.

Je désirais relire ses articles parus sur le feu blog-libre. Il a bien voulu m’en renvoyer quelques-uns. Je trouve l’article ci-dessous particulièrement intéressant et je trouvais dommage qu’il ne soit plus visible. Christophe a accepté que je le republie dans son intégralité, je n’ai touché à rien. Je précise que certains liens dans l’article sont bien évidemment morts.


Philosophie du logiciel libre, vous dites ?

Mon article précédent a fait grincer des dents. Ça tombe bien ! C’était fait pour.

Il y a ceux qui n’y voient aucun fond, ceux qui n’y reconnaissent aucune structure, ceux qui n’y lisent qu’un délire sémantique, ceux qui corrigent ma copie et me font la leçon de philosophie du logiciel libre. Puis il y a ceux qui me prennent, fort heureusement, un peu plus au sérieux et m’obligent à m’expliquer et prolongent le débat en y versant des pièces intéressantes. Ceux-là, tous ceux-là, oui, même ceux qui se figurent que je suis un singe, tous, je les remercie. Un peu plus, c’est certain, ceux qui acceptent le débat, cela va de soi.

Jouons à un petit jeu de reformulation, voulez-vous, juste pour mettre à jour ce que d’aucuns peinent à lire ou comprendre. Voici, révélé, à ceux qui ne sont pas parvenus à le saisir, l’essentiel de l’article précédent :

Certaines personnalités du mouvement dit du Logiciel Libre revendiquent la devise républicaine française : liberté, égalité, fraternité. — Est-ce une revendication raisonnée ou une récupération opportune ? — Fallacieux, selon moi. Trompeur, serait plus juste. Pourquoi ?

Conséquemment, il faut reprendre la définition devenue canonique, dans le milieu du logiciel libre, pour tenter d’apprécier la pertinence de cette récupération parce que, dans le sens commun, un objet n’est pas libre sinon métaphoriquement.

Voici la définition de la FSF (ébauchée dans les années 1980 par RMS) :

  • la liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages ;
  • la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins ;
  • la liberté de redistribuer des copies du programme (ce qui implique la possibilité aussi bien de donner que de vendre des copies) ;
  • la liberté d’améliorer le programme et de distribuer ces améliorations au public, pour en faire profiter toute la communauté.

Cette définition, même si elle paraît bien « restreinte » au logiciel, comme le remarque Benjamin Bayart dans le texte d’une de ses conférences (2004), n’en est pas moins trompeuse. Si, comme beaucoup l’affirment, elle ne concerne que le code et rien que le code, alors on ne peut comprendre que difficilement comment l’on pourrait ranger sous la même bannière du code et des hommes parce que la devise républicaine française s’applique aux citoyens non aux objets (code ou chaise). Ce qui en soi serait absurde, c’est-à-dire ressenti ou perçu comme contraire à la raison ou au sens commun.

La spécialisation communautaire a consacré un usage pour le moins curieux sinon aberrant : on persiste à qualifier un logiciel de libre en (se) laissant accroire que la définition proposée depuis les années 1980 par RMS concernerait le code et rien que le code (logiciel). Ainsi, l’on peut dire d’un logiciel comme Diaspora* qu’il n’est qu’un logiciel alors même qu’il est distribué avec (sous) une licence qui établit une relation essentielle avec l’utilisateur… sans craindre le ridicule.

Or, cet usage consacré qui associe logiciel et libre, dans l’esprit de beaucoup, associe au code cet adjectif alors que si l’on prend la peine de relire la définition de la FSF, on s’aperçoit que ce n’est pas le code qui est visé directement. Un code n’est libre que si et seulement si sont reconnues certaines libertés bien déterminées à… l’utilisateur ! C’est, comme l’a dit Benjamin Bayart, une définition en creux. C’est pour cette raison qu’il proposait de requalifier ces logiciels de « libérateurs ». Une manière de rendre plus explicite que c’est d’abord et avant tout l’utilisateur qui doit être libéré.

L’histoire la plus effroyable, disais-je, avec la photo de l’entrée d’Auschwitz, devrait être là pour nous le rappeler : la liberté n’est pas le fait des objets mais des êtres vivants. Il ne suffit pas de qualifier quelque chose de libre pour qu’elle le soit, la liberté est un état, une condition définie par des règles de toujours relatives et de toujours restrictives. Ces restrictions s’appliquent à des hommes.

Si RMS se range derrière la devise de la République française ce n’est pas parce qu’il est idiot au point de croire que la FSF doit libérer du code : « Liberté, parce que les utilisateurs sont libres. Égalité, parce qu’ils disposent tous des mêmes libertés. Fraternité, parce que nous encourageons chacun à coopérer dans la communauté. » C’est l’utilisateur qui est directement concerné pas le code. Ce qui, manifestement, est interdit à la compréhension de beaucoup. Par imprégnation, la définition restreinte (ou logicielle) est assimilée une définition plus large et sociale, sciemment.

Cette assimilation a d’importantes implications : le mouvement du libre est ainsi tout imprégné des valeurs universalistes et devient porteur d’un idéal social. Un idéal trahi par certains développeurs et/ou administrateurs d’un certain réseau social, par exemple, qui n’ont pour modèle d’organisation sociale qu’une vision verticale et autoritaire.

Déjà 2 avis pertinents dans Philosophie du logiciel libre, vous dites ?

  • C138
    Bah oui, c’est un peu comme les formats «ouverts», belle idiotie.

    Une porte est ouverte ou fermée. Un interrupteur est ouvert ou fermé.

    Un format ouvert !? N’importe quoi. Aucun sens.

    « Jouons à un petit jeu de reformulation ». Ça c’est la phrase clé.
    Quand tu n’arrives pas à t’insérer dans un système établi. Juste reformule-le. Et hop. Tu gagnes à tous les coups.
    Et certains tombent dans le panneau.

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