Revenir sur les acquis sociaux pour créer des emplois (Ou le pas si nouveau plan du MEDEF pour relancer l'économie)

Le MEDEF a été décrié il y a quelques semaines pour les propositions qu’il a faites récemment pour créer 1 000 000 d’emplois. Parmis les propositions décriées il y a :

  • retarder l’âge de départ à la retraite,
  • renégocier la valeur du SMIC,
  • supprimer deux jours feriés par an,
  • revenir sur les 35 heures, au moins en partie.

La logique du MEDEF se comprend assez bien et ce dernier l’avoue lui-même :

Avec une logique simple : tout ce qui est bon pour la compétitivité des entreprises est bon pour l’emploi et pour nos salariés, donc bon pour la France. Avec également une équation désormais implacable qui découle de la surfiscalité de notre pays :
→ Chaque cotisation nouvelle sur les entrerises entraine du chômage.
→ Chaque contrainte nouvelle sur les entreprises entraine du chômage.
→ Chaque taxe nouvelle sur les entreprises entraine du chômage.

Les atrocités typographiques sont d’origine. M’voyez, Messieurs, Dames ! L’économie, c’est simple comme un sophisme !

Oui mais non…

Attardons-nous un peu sur le sophisme, justement. Il est assez incroyable que ce type de sophisme, appelé syllogisme — alors qu’il est connu depuis l’Antiquité — puisse encore fonctionner… Qu’apprend-t-on aux lycéens en cours de philo, non d’une pipe à crack !

Bon, petit cours : le syllogisme repose sur trois éléments : deux prémisses — une majeure et une mineure — et une conclusion. La majeure est supposée vraie, si la mineure est aussi vraie et qu’elle implique la majeure, alors la conclusion est vraie. Cas d’école :

  • toutes les chèvres ont une barbe (majeure),
  • or Aristote a une barbe (mineure),
  • donc Aristote est une chèvre (conclusion).

Wait…

Le problème des syllogismes, c’est qu’il y a un trou béant dedans : celui de croire que si deux propositions sont vraies, elles sont liées… Ici, les deux prémisses sont vraies, mais n’indiquent rien en soit. Pourquoi ? Parce que si toutes les chèvres ont une barbe, tous les animaux à barbes ne sont pas des chèvres… Il pourrait donc être correct de dire que si Aristote est une chèvre, compte tenu que toutes les chèvres ont une barbe, Aristote possède une barbe… Par contre, la contraposée est fausse…

Passons au syllogisme du MEDEF :

  • ce qui est bon pour la compétitivité des entreprises est bon pour l’emploi (majeure),
  • or, ce qui est bon pour l’emploi est bon pour les salariés (mineure),
  • donc c’est bon pour la France (conclusion).

Ok, là, le syllogisme pèche par excès de zèle puisqu’il est faux sur toute la longueur.

La majeure

Prenons comme définition de la compétitivité, l’ensemble des éléments qui permettent à une entreprise de produire plus de produits à vendre pour moins cher. J’ai ressorti mes cours de finances rien que pour vous ! Il y a globalement 2 postes de dépenses pour une entreprise :

  • les charges fixes,
  • les charges variables.

Les charges fixes sont les charges qui n’augmentent pas en proportion de la production. Par exemple : le loyer des bâtiment, qui ne changera pas à moins que l’entreprise n’augmente radicalement sa production au point de nécessiter un nouveau site de production. On n’est donc pas du tout dans du proportionnel.

Les charges variables sont celles qui varient en proportion de la production (logique !) comme les matières premières ou la main d’oeuvre. Les charges variables sont les plus faciles à manipuler, évidemment. Si vous voulez vendre deux fois plus d’iBidule, à 10% moins cher, il est assez logique que vous souhaitiez faire baisser le coût des matières premières de 10% que d’essayer de grater ces 10% sur votre prochain bail…

Et le plus facile à faire descendre c’est… le coût du travail ! Bah oui ! Sauf que…

Sauf qu’il y a deux manières de baisser le coût du travail : baisser les salaires et les charges sociales associées ou… automatiser pour ne plus avoir à payer de salaires… Et quand on sait que 47% des emplois dans le monde seraient automatisables d’ici 20 ans….

Dans ce cas précis, l’entreprise est beaucoup plus compétitive, mais ça n’a pas été bon pour l’emploi, puisque les employés ont été remplacés par des machines… Et c’est dans l’air du temps… Je me rappelle avoir lu il n’y a pas si longtemps des avis de scientifiques des années 50 qui disaient qu’en 2000 tout serait fait par des robots et que nous n’aurions plus qu’à travailler 10 heures par semaine. Alors que le nombre d’emploi ne cesse de baisser grâce à la mécanisation de la production on pourrait penser que la solution soit de réduire drastiquement le temps de travail hebdomadaire et le répartir entre tous, comme cela s’est toujours fait depuis la première révolution industrielle. Mais le MEDEF, lui affirme l’inverse… Étrange exemple de non-sens mathématique…

La mineure

La mineure est tellement stupide qu’elle ne devrait pas prendre beaucoup de temps à démonter : non, ce qui est bon pour l’emploi n’est pas bon pour les salariés. En tout cas, pas l’emploi que prône le MEDEF, i.e : celui payé moins que le SMIC. Le SMIC est écrasant pour les entreprises ? J’en conviens mais il se trouve qu’il est aussi vital pour les travailleurs. Petit exemple simple :

Je suis un étudiant apprenti, qui gagne 75% du SMIC, ce qui correspond à 940€, ce qui est élevé par rapport à des travails à temps plein en Allemagne qui sont parfois payés 400€ du mois. En tant qu’apprenti, j’ai beaucoup de chance, je ne paie pas d’impôts et paie très peu de cotisations sociales. Je n’ai qu’assez peu de dépenses : l’assurance de ma voiture, mon forfait téléphone, mon transport, un peu d’essence de temps en temps, mes repas du matin et du midi. Je paie :

  • 72€ d’assurance,
  • 30€ de forfait téléphone,
  • entre 60 et 105€ de titre de transport,
  • entre 200 et 250 de bouffe (~5€ par repas, 2 repas par jour, 5 jours par semaine, parfois plus)
  • 60€ d’essence…

Soit entre 420€ et 520€ par mois. Et là, vous allez, me répondre : « ça va, il te reste ~400€ pour finir le mois ! » Vous êtes mignons…
Ça, ce sont mes frais habituels… Mais j’ai aussi des frais de santé récurrents, et des pépins qui me tombent dessus (genre panne de voiture). Et moi j’ai la chance d’encore vivre chez ma mère…

Maintenant, prenez cette situation, et imaginez-vous une mère ou un père de famille seul(e) qui, en plus de ça, paie des impôts, un loyer, 4 fois mon panier repas et demandez vous si cela rentre dans 75% du SMIC… Ou même 85%… Ne vous posez pas trop la question : pour certains foyers, ces dépenses ne rentrent même pas dans 100% du SMIC… Et là, on ne parle que de dépenses de survie. Quid de la mutuelle, des loisirs (le cinema, les musées, la culture en général, c’est une affaire de riches… Maudit sois-tu Pierre Bourdieu !), des sorties scolaires, du sport ?

Mais non, ma bonne dame… C’est bon pour l’emploi !

La conlusion

Mais c’est bon pour la France nous affirme le MEDEF !

Mais qui est la France ? La France serait donc, dans la tête du MEDEF, la somme des entreprises et des salariés. Et là, il y a un troisième aspect très contestable dans le raisonnement biaisé du MEDEF : le travail salarié serait l’Alpha et l’Omega de l’économie…

Sauf que…

Malheureusement, un brillant économiste nommé Karl Marx a écrit un certain nombre de traités d’économie même s’il n’est enseigné à l’école que pour le très célèbre Manifeste du Parti Communiste. Précision sur ce mensonge historique : Karl Marx n’a pas écrit le Manifeste. Il n’a fait que mettre en mots — et à leur demande — les doctrines politiques des communistes de l’époque. Il suffit d’ailleurs de ne pas être allé plus loin que la préface pour le savoir. La première version du Manifeste est sorti de manière anonyme. Ce n’est que devant sont échec que les communistes ont décider de lui associer l’aura de Karl Marx et Friedrich Engels…

Donc ce Monsieur a écrit un certain nombre de choses étonnantes, parmi lesquelles le fait qu’on peut distinguer à tout objet, en dehors de la monnaie, deux valeurs :

  • la valeur d’usage,
  • la valeur d’échange.

La valeur d’usage est la valeur qu’a un bien au yeux de celui qui peut l’utiliser tandis que la valeur d’échange ; est la valeur qu’il revêt au yeux de celui qui va l’échanger contre autre chose — la plupart du temps, de l’argent ; il s’agit alors d’une vente.

Exemple simple : la soie a une grande valeur d’usage aux yeux du tailleur qui peut l’utiliser pour en faire un vêtement mais peu aux yeux d’un ébéniste. L’ébeniste lui trouvera une beaucoup plus grande valeur d’échange puisqu’il peut la vendre pour pouvoir acheter du bois.

Le discours du MEDEF est donc le suivant : la finalité de tout individu est d’occuper un emploi au sein d’une entreprise pour produire de la valeur d’échange. I.e : de la valeur qui peut être vendue sur un marché. La valeur d’usage, elle…

Pour le MEDEF, donc, les chercheurs qui produisent de la connaissance, n’ont d’utilité que si cette valeur peut-être intégrée directement dans un processus de production pour être transformée en valeur d’échange. Le savoir pour le savoir ne compte pas.

Les activités sociales et culturelles qui ne produisent aucune valeur d’échange directement et n’ont donc aucun intérêt aux yeux du MEDEF. Que la population soit éduquée et en bonne santé ne fait pas vendre plus d’iBidules, comprenez-vous…

Mais pour comprendre à quel point ce raisonnement et cette soumission à l’Économie est stupide, il faut remonter à la raison pour laquelle l’être humain — comme tous les animaux sociaux — vit en société.

Il y a eu beaucoup de définitions de la société mais il y a toujours une caractéristique fondamentale qui pousse des individus à en créer : l’entraide. C’est la raison pour laquelle les loup vivent en meute : ils se protègent mieux à plusieurs. Une société humaine est beaucoup plus complexe de ce point de vue puisqu’en l’état actuel de nos connaissances, elle est le seul exemple de société basé sur le verbe. L’organisation d’une société humaine repose sur des règles qui ont été au préalable discutées et choisies (parfois par un tout petit groupe social, c’est alors une oligarchie ou une dictature). La communication par la parole et l’écrit y occupent une place prépondérente. Cela a des effet étonnants par exemple le fait que la sélection naturelle ne joue plus son rôle d’adaptateur à l’environnement.

Oublier de s’occuper du bien être de tous les individus de la société pour se concentrer sur la bonne santé de l’économie, c’est oublier la raison pour laquelle nous vivons en société. Produire et vendre plus d’iBidule nous apportera quoi, au final ? De l’argent ? Qui viendra d’où ? Ce que nous gagnons d’autres le perdent. Vouloir une bonne santé économique c’est vouloir que l’économie d’une autre société en patisse..

Il y a une autre voie que celle de l’emploi : celle du travail.

PS : Pour ceux qui ont un peu de temps devant eux, je leur conseille cette excellente conférence de Gaël Tanguy et Franck Lepage, très drôle, qui disserte sur ce mensonge du chômage, des retraites et de l’emploi.

Déjà 2 avis pertinents dans Revenir sur les acquis sociaux pour créer des emplois (Ou le pas si nouveau plan du MEDEF pour relancer l'économie)

  • Excellent article.
    On peut aussi se demander quel est le contrat social, quel est le projet de société que nous avons proposé à notre pays et que notre pays, en retour, a à nous proposer.
    Si c’est gagner plus en travaillant plus et en marchant sur la tête des plus pauvres, pas sur que cela m’intéresse beaucoup…

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