Le modèle des cerveaux de Herrmann et les mutations du métier d'informaticien

Cet article est la remise en ligne d’un ancien article paru sur le blog libre.

Comme tout étudiant en informatique, je suis soumis à des cours classés dans une UV nommée sciences humaines. La plupart de ces cours n’est pas inintéressante mais malheureusement, parfois, on rencontre un cours qui dépasse l’entendement.

Pour moi, c’est le cours de communication et ça a très vite dérapé. Pourtant, je l’attendais avec impatience et curiosité, ce cours. Je pensais avoir quelques notions de sciences humaines, de psychologie et je me suis retrouvé avec un Père Fourras en papier mâché vomissant les clichés scientifiques par paquets de 10. Je me rendis vite compte de la supercherie et dès le premier cours lui demandais si l’objectif de celui-ci était d’apprendre à manipuler les gens.

Sans aucune gêne, il m’a répondu d’un ton engagé (mais peu engageant) : « bien sûr ! » pour justifier tout de suite sont propos : « mais vous savez, on peut manipuler les gens pour les élever ou pour les enfoncer. Moi je veux vous apprendre à les faire s’élever ! ». Nul doute : l’homme est un comédien né et il croit dur comme fer à son discours. Malheureusement pour lui sa prose n’est pas aussi solide que sa présence et le bougre est sans arrêt obligé de la renforcer à coup de fallacieux ad-hominem. À l’entendre, il a rencontré la crème de l’intelligentsia politique et artistique du XXe siècle. Dommage pour lui que ça m’en touche une sans faire bouger l’autre (spéciale dédicace à l’invité d’honneur à vie du salon de l’agriculture).

Le cours est un grand empilement d’inepties pseudo-scientifiques qui viole juste un siècle de découvertes en psychologie et en neurologie. La dernière en date, c’était le fameux mythe des 10 % du cerveau. Vous savez, ce mythe affirmant que nous n’utiliseront jamais, au cours de notre vie plus de 10 % de notre cerveau, l’utilité des 90 % restants étant inconnue ? Manque de bol, ça a été démonté scientifiquement à coup de scans IRM lors de tâches complexes au cours desquelles les patients ont montré utiliser plus de 20 % de leur cerveau…

Maintenant que je vous ai situé le bonhomme, il faut que je vous parle de la dernière théorie qu’il a tenté de nous apprendre.

Le modèle des quatre cerveaux d’Hermann

hermann

Le modèle des quatre cerveaux d’Hermann est très simple. Tellement simple qu’il fume la supercherie à des centaines de kilomètres. Le voici illustré :

 

Vous allez voir, le cerveau c’est très simple, pas besoin de faire 10 ans d’études de médecine, vous comprendrez sont fonctionnement en lisant n’importe quel bouquin de managment.

Le cerveau est divisé en 2 zones elles-même divisées en 2 zones : l’hémisphère droit est responsable de l’émotion, l’hémisphère gauche, de la logique. La zone avant-droite est responsable de la créativité, l’arrière des relations sociales. Quant à la zone gauche, la partie avant est responsable de l’analyse, la zone arrière de la planification. Circulez, y’a rien à voir.

Sauf qu’en faisant un rapide petit tour sur Wikipédia, on se rend compte que les choses sont un poil plus compliquées :

« Anatomiquement et physiologiquement, les deux hémisphères cérébraux ne sont pas identiques mais symétriques : chaque hémisphère comporte des aires visuelles, motrices, somesthésiques, etc. ».

Ah merde… En fait, mon cerveau est constitué des mêmes zones placées au même endroit dans chaque hémisphère…

Alors effectivement, le même article nous indique que les choses ne sont pas tout à fait pareilles de chaque côté :

« Or, chez l’être humain […], on observe une spécialisation hémisphérique dans diverses fonctions dont la plus connue et la mieux caractérisée est celle du langage. Ce dernier est, chez 95 % des humains droitiers, pris en charge par l’hémisphère gauche […] ».

Donc en fait, les deux côtés de votre cerveau sont capables de remplir les mêmes tâches, mais se remplissent plutôt à gauche ou plutôt à droite. Et en plus le fait n’est avéré que pour 95% des droitiers, soit 80% de la population totale puisqu’on estime les gauchers à 15% de la population. C’est la raison pour laquelle les patients ayant subit une ablation d’un hémisphère peuvent, après une réadaptation, vivre à nouveau presque normalement. On est quand-même assez loin, ici, de l’hyper-spécialisation sûre et définitive du modèle d’Hermann lequel nous était pourtant présenté comme un être éminent par l’intervenant du cours.

Mais pourquoi enseigne-t-on cela, alors ?

 

Là, je vous avoue, c’est la colle… Je ne comprends vraiment pas pourquoi les écoles qui enseignent l’informatique se compromettent de la sorte avec des théories pseudo-scientifiques plus proches du charlatanisme que que de la rigueur universitaire.

En faisant mes recherches sur Internet, je n’ai presque rien trouvé sur ce fameux Hermann. À part un ensemble de publications déroulant sa théorie, ce type n’a rien écrit. Et en fait sa biographie Wikipédia qui est très succinte même en anglais, ce qui est rare pour un homme qu’on nous présente comme aussi important, nous apprend que le type a passé plus de temps comme cadre dans de grandes boites ou comme coach que comme chercheur au sens strict du terme.

Les travaux sur sa théorie sont tellement vides que même google a été incapable de me donner un site apportant une approche critique de ce modèle. Les seuls résultats sont des sites traitant de managment et de communication faisant l’apologie d’une théorie dont visiblement les scientifiques ne savent rien….

Et c’est là que ça commence à m’inquiéter…

Le modèle Hermann dans l’entreprise

 

Le truc, c’est que même s’il ne semble y avoir aucune recherche scientifique sérieuse sur ce modèle, il semble avoir pénétré les grandes entreprises au point qu’il est aujourd’hui une marque déposée ce qui n’est généralement pas la preuve de la plus grande rigueur scientifique. Et pourtant, le modèle prétend pouvoir, en 300 questions, catégoriser n’importe qui et donner sur lui ou elle un avis définitif, là ou les plus grand neuropsychiatres se cassent les dents.

Bien évidemment, l’idée cachée derrière ce modèle est de pouvoir, pour un employeur, trouver l’employé le plus docile qui exécutera sans broncher les plus basses besognes. Ce qui m’inquiète vraiment, c’est que la culture du managment ai imprégné à ce point le monde du travail que l’on enseigne ces choses dans des domaines qui devraient rester purement techniques. Je pense que ceux qui travaillent depuis longtemps dans l’informatique pourraient témoigner de mon impression : l’informatique a connu, dans les années 80 une mutation qui l’a inféodée à des logiques définitivement plus jamais techniques, mais marketing et managériales.

Je vous avoue que j’ai grandi avec dans la tête l’image de l’ingénieur des années 50 : un type hyer-spécialisé et techniquement très pointu capable de résoudre des intégrales triples pour bâtir un pont en acier.

Ce n’est pourtant pas l’impression que me donnent aujourd’hui les écoles d’ingénieur. Les matières scientifiques autres que le cœur de spécialisation (comprenez la physique en école d’informatique) y semblent tournées en dérision, prises par-dessus la jambe, alors que les méthodes de gestion d’équipes (notamment le managment et la communication) y trouvent une place centrale dérangeante.

Et j’ai pu entendre plus d’une fois ce discours du vieux technicos de la vieille blâmant ces nouveaux jeunes fraîchement sortis de leur école d’ingénieur, incapables de comprendre l’environnement technique dans lequel ils travaillent et plus intéressés par leurs indicateurs de qualité.

Je pense qu’il est urgent, maintenant, de faire sortir le monde de l’entreprise de nos écoles…

Déjà 4 avis pertinents dans Le modèle des cerveaux de Herrmann et les mutations du métier d'informaticien

  • Javais déjà lu cet article sur le blog-libre. Je n’ai pas pris le temps de le relire, mais en retombant dessus par hasard, je sais a présent ce qui me dérangeait dans ton argumentation comme quoi la psycho/socio, c’est du flan puisque la neuro n’explique pas tout.
    Du coup, je profite de l’ouverture des commentaires ici pour t’en faire part.
    Ce que tu ne prends pas en compte, c’est la séparation des sciences. Je ne sais pas si le concept existe en tant que tel, mais je sais que beaucoup travaillent à la création d’une théorie du tout contenant toutes les scient et raccordant toutes les théories. C’est notamment en parti sur quoi travail Hawking, mais nous n’y sommes pas du tout encore.
    La thermos fut créée empiriquement, bien avant d’être démontrée par la physique quantique, ça marchait, on a gardé la théorie même si elle n’était pas démontrée par ce qu’elle marchait. De même, on a encore expliqué toute la bio ou la chimie, en partant de la physique quantique, pourtant on constate expérimentalement certaines choses et on les prend pour acquise. En Socio, c’est pareil, on a constaté des comportements qui sont validés statistiquement, même si la neuro n’a pas tout démontré.
    Les deux ne sont d’ailleurs pas totalement séparées puisqu’enseigné en même temps dans les licences sciences humaines.

    Enfin, l’ingénieur a changé, oui par ce qu’il est de plus en plus compliqué de tout savoir, on est de plus en plus spécialisé, et qu’on a besoin de d’ingénieurs généraliste, avec des qualités sociales, capable de faire en quelque sorte la synthèse de ce que font les différents membres du projet, chacun plus pointu dans leur domaine que l’ingénieur et de mener a bien le projet.
    Je me suis également posé la question de si c’était effectivement mieux, je n’en sais rien, mais pense que si toutes les entreprises sont passées à ce modèle, c’est bien qu’il possède une certaine rentabilité/efficacité. Intellectuellement par contre, c’est surement dommage. Quel ingénieur serait à présent capable de faire son proto dans son coin?

  • Ratichon
    En réponse à @oni_shadow

    Première question : pourquoi, si il se fait le besoin de personnes « capable[ent] de faire en quelque sorte la synthèse de ce que font les différents membres du projet » est présent est-il nécessaire de les confondre avec les ingénieurs ? Quand un nouveau besoin aussi claire se fait sentir ne faudrait-il pas le désigner par un métier bien distinct quoi qu’ayant des rapprochement avec l’ingénieur. Si aujourd’hui être ingénieur ne veut plus rien dire, et c’est bien dommage, ce n’est pas le fait du hasard.

    Seconde remarque cette fois, vis-à-vis de la thermodynamique et des sciences en général. La différence fondamentale pour moi est la différence entre une théorie empirique basée sur des phénomènes inertes presque intemporelles sur l’échelle de nos sociétés et d’autres sur des entités plurielles dotées d’une subjectivité, d’un libre arbitre et d’une évolutivité insaisissable. Les statistiques sont temporelles et ne peuvent ériger si facilement des lois sur le comportement humain tant celui-ci est dépendant d’une immense quantité de paramètres variable dans le temps et pour chaque individu.
    Désigner les deux par le même terme c’est pour moi une erreur. Je ne sous estime pas les ****** sociales mais je les différencie pour mieux les caractériser.

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