Intolérable cruauté

Cela fait maintenant 8 mois que j’ai pris mes fonctions à mon nouveau poste : Ingénieur Système Linux. J’ai été bien silencieux car ça a été la traversée du désert.

J’ai déjà parlé de mon syndrome de l’imposteur. Certaines personnes avec qui j’échange ne comprennent pas cet état, ils le nient simplement ou ils passent à côté comme un détail. Je n’ai jamais réellement creusé ce syndrome, si je peux lutter contre, comment, d’où ça vient mais ça fait partie de moi. Quand je le regarde en face, je vois que c’est de la peur. Une peur irrationnelle.

LE job

En relisant mes articles sur ma recherche d’emploi (1, 2, 3), je trouve qu’on y voit quelqu’un de sûr de lui. Je suis sûr de mon organisation, déterminé, bosseur mais mon syndrome de l’imposteur est multiplié par 10 quand je recherche un nouvel emploi. Comment cela pourrait être autrement ? Je me retrouve en face de mes pairs, jugé sur ma valeur, mes compétences. La peur m’envahit, elle dévore tout, le doute s’installe. Je suis un imposteur.

Mais on avance comme tout le monde, on serre les dents et on avance. Je décroche un poste, un truc énorme, une chance de tourner la page Windows pour en ouvrir une Linux. L’enfer est pavé de bonnes intentions… la chance que j’ai est proportionnelle aux enjeux, si je me loupe, la déception sera immense et la honte complète.

Paradis ou enfer

Il n’y a rien de facile à switcher de sysadmin Windows à sysadmin Linux, je dois tout reprendre : pas les mêmes outils, pas les mêmes façons de travailler, pas les mêmes sujets, casser les habitudes. Il faut tout revoir, tout remettre en cause : Passer de Windows 7 à Xubuntu, de Windows Server à GNU/Linux Debian, du bureau à distance à SSH, d’Outlook à Thunderbird, du mail à la messagerie instantanée, d’appeler le support à ouvrir des issues, de se déplacer voir un utilisateur à répondre aux tickets des clients, d’aller dans la salle serveur à aller au datacenter…

Le changement est total et brutal. Pas grave j’aime ça mais il faut assurer derrière, changer sa manière de voir et de faire les choses, trouver les bons outils, apprendre et comprendre les méthodes de travail. S’adapter.

Ne nous leurrons pas car en même temps qu’on vous forme et que vous apprenez, vous devez également faire vos preuves, est-ce qu’on vous gardera au terme de la période d’essai ? Moi on m’a testé en me donnant un projet : Gestion des logs.

J’ai passé deux mois sur ce projet. Affronter une doc pourrie, tester, retester, reretester jusqu’à ce que ça fonctionne. Seul. Je quitte un management vertical et goûte au management horizontal, fini les comptes rendus réguliers, bonjour autonomie totale. Concrètement on ne vient plus me demander tous les 3 jours où j’en suis, on m’a confié une tâche et c’est à moi de l’assumer, j’en suis responsable, on me fait confiance pour mener à bien le projet.

Je suis livré à moi-même. Si je n’avance pas, si je ne réussis pas, je suis le seul responsable. Je suis mis en face de mes défauts, de mes failles, de ma médiocrité. Je deviens mon pire bourreau, je suis mon propre bourreau. Je suis cruel avec moi-même : « Trop lent ! Incapable ! Imbécile ! Désorganisé ! ». Une guerre des nerfs commence, il faut tenir, avancer millimètre par millimètre.

J’arrive à boucler le projet. Insatisfait toujours. 2 mois pour pondre 200 lignes de configuration, heureusement que le ridicule ne tue pas.

Ruine et souffle nouveau

On me garde au terme de ma période d’essai mais je suis en ruine, dévasté par ce conflit avec moi-même. Le job est sauf, mon estime de soi en lambeaux. Je suis content d’être dans cette boîte à ce poste mais je tire la gueule en y allant, épuisé par cette confrontation.

Je vais cependant pouvoir respirer (et faire diversion), d’autres projets arrivent, d’autres sujets à s’emparer. J’avance en boitant mais je continue à avancer.

Aujourd’hui ça va mieux, j’ai vu qu’on me confie davantage de tâches, qu’on me juge finalement bien moins que je ne le fais avec moi-même. Je suis mon propre bourreau, mon ennemi, ma limite. Prochaine étape, je vais lui défoncer la gueule !

Déjà 9 avis pertinents dans Intolérable cruauté

  • alterlibriste
    En fait, je crois que je commence à comprendre pourquoi tu te montres impitoyable avec certains projets ou certaines attitudes (ne jamais soumettre un CV à son regard critique sous peine de finir en PLS sous son lit à pleurer toutes les larmes de son corps). Tu laisses transparaître ce que tu t’infliges à toi. Et ça doit être super dur !
    Tu as raison, il faut que tu lui casse la gueule sérieusement, tu veux de l’aide ? ;-)
  • philgra
    Le plus dur, la période d’essai, est passé.
    Par contre, le fait de se sentir être un imposteur revient et reviendra constamment, pas tout le temps heureusement.
    Bon courage…
  • A1
    Idéalement, il faudrait ne pas avoir besoin de distinguer entre s’accueillir soi-même et accueillir autrui. Voire : s’accueillir soi-même comme autrui, c’est-à-dire comme un compagnon qui est là pour une durée incertaine, qui est-ce qu’il est à un instant t, et qui demande à éclore à t+1. À défaut de mise en pratique immédiate, ce proverbe souligne le mouvement: « Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console. »En phase d’apprentissage, la comparaison est rude. C’est parce qu’il y a asymétrie qu’elle est rude, et c’est cette asymétrie qui rend possible l’apprentissage. Par conséquent, c’est intenable de ne faire que recevoir / apprendre. Si tu ne regardes que ceux qui savent/font « mieux » que toi, parce que tu veux leur ressembler, tu ne peux que te perdre et te détester.Chacun n’est que soi et personne ne fait exception à cette nécessité qu’implique la condition humaine. Ta narration n’est que la tienne. Personne ne peut vivre ta vie mieux que toi-même. Personne ne peut mieux que toi être toi-même. Tu es déjà la victoire de ta propre existence. Ton identité, en elle-même, est déjà une réussite éclatante de laquelle aucun « faire » approximatif ne peut te déposséder.De là, tu peux t’inscrire dans la transmission, non pas de ce que tu sais ou de ce que tu fais, mais dans la transmission de « qui tu es ». Avec accueil et patience en plus. Or, pour pouvoir transmettre, il faut commencer par apprendre… d’où l’importance de le vivre avec souplesse, à son rythme, entouré tant que faire se peut.Relais, dictionnaires, toussa :-)
  • A1
    Ça n’a pas grand chose avec la poésie. Je crois surtout que le cynisme a fait son temps et n’ira pas plus loin sans une casse qu’il m’importe, effectivement, d’éviter.
  • Sortir de sa zone de confort n’est pas facile voir douloureux, mais y rester c’est ne plus évoluer… sacré dilemme. Comme toute changement de poste il faut laisser le temps installer les choses, la façon de travailler, l’angle d’attaque ou au contraire ne pas rester et chercher un autre boulot si rien de tout ça ne convient. En bref, se laisser un peu de temps pour évoluer mais ne pas végéter dans une situation intenable. Le blogging est une une activité très complémentaire de part sa liberté que je ne peux que te conseiller… une vraie bulle :)

    Bon courage!

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