La post-vérité, la pathétique nouvelle invention des journalistes pour tenter de couvrir leur perte de crédibilité

Voici quelque temps que je vois fleurir ce nouveau terme un peu partout sur les sites de grands journaux. Selon pas mal d’éditorialistes, nous serions entrés, avec le vote de sortie de l’EU de la Grande-Bretagne et l’élection de Trump, dans une ère de « post-vérité ». Le terme a même été consacré mot-de-l’année© de 2016 par le dictionnaire anglais Oxford (en).

Mais qu’est-ce que c’est que ce truc !?

Le dictionnaire Oxford le décrit comme « [faisant] référence à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles ». Tiens donc ? Nous serions donc entrés dans une ère d’insensibilité à la vérité et c’est donc ce qui aurait conduit les gens à voter Trump et la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE !?

Est-ce à dire qu’auparavant, nous vivions dans une ère de « présente-vérité » dans laquelle les faits étaient tout ce qui comptaient !?

Bien évidemment, les marxistes de tous bords se marrent. Ils savent bien, eux, que le monde n’a en réalité pas changé, que les faits et les émotions ne compte pas plus ou moins dans la balance qu’auparavant et que toutes les idéologies politiques se sont toujours plus ou moins arrangés avec la vérité pour tenter d’imposer leurs idées. Que ce soit pour convaincre la population de la nécessité de faire la guerre aux Allemands :

aux communistes

aux anarchistes :

Les marxistes, disais-je, se marrent parce qu’ils voient bien la propagande que mènent le MEDEF et toute une nuée de journaux comme l’Opinion, Challenges, Le Monde, Libération et pléthore d’autres, depuis 40 ans contre l’État social. Ainsi, comme une prière, ils répètent à l’envi que le « trou » de la Sécurité Sociale se creuse, que les dépenses de l’État enflent, que les services publics coûtent cher, que rien ne vaut la concurrence, qu’il faut relancer la croissance pour faire baisser le chômage et autres fadaises[1]. Sans jamais interroger des causes telles que les constants allègements de cotisations sociales et les réductions d’impôts accordées aux entreprises depuis tout ce temps.

Et pour justifier cette entrée dans l’ère de la « post-vérité », les journalistes s’empressent — comme c’est étonnant ! — de fustiger… internet ! J’en suis sur le cul ! J’avoue que je ne m’y étais pas du tout attendu ! C’est pas comme si internet était responsable de tous les maux de la société dans la bouche des politiques et des journalistes depuis le milieu des années 90…

Ceci-dit, ils n’ont pas tout à fait tort. Internet et bel et bien responsable d’un changement assez profond de la société. Mais pas dans le sens où ils l’entendent. Le truc, c’est que, depuis 40 ans, les médias n’ont cessé de se concentrer entre les mains d’un petit groupe de propriétaires d’entreprises beaucoup trop fortunés et beaucoup trop avides d’influence. Cette concentration médiatique a produit une importante uniformisation du langage journalistique, des thèmes abordés et de leur traitement. Ainsi, les cotisations sociales sont devenues des « charges sociales ». Les manifestants sont devenus « des casseurs ». Leurs revendications a laissé place à « la grogne des usagés ». La grève est devenue une « prise d’otage ». Les propriétaires d’entreprises sont devenus « des entrepreneurs » quand-bien même ils n’ont jamais fondé une seule entreprise et se sont contenté d’hériter ou de racheter. La destruction des acquis sociaux est devenue synonyme de « modernité », leur préservation ou leur amélioration est un « archaïsme ». Et je pourrais continuer comme ça pendant des heures…

Soyons honnêtes : l’immense majorité des grands médias est subjective. Ils défendent une vision politique du monde, la vision néo-libérale, celle des bourgeois. Cette vision était devenue, depuis les années 80 si dominante, qu’elle en était arrivée à passer pour une norme. Et ceux qui la défendent faisaient partie du cercle de la raison. Ils défendraient une vision « réaliste » contre les « utopies » de ceux qui vivent « dans un monde de Bisounours ».

Et le problème, c’est qu’avec l’arrivée d’internet, ça a commencé à se voir.

Parce que tout un tas d’opinions, qui étaient jusque-là relativement inaudibles, a commencé à se faire entendre. YouTube est devenu le vecteur de propagation de conférences d’économistes hétérodoxes. Des médias libres ont pu commencer à correctement documenter l’action syndicale sur leurs sites web. Des associations de critique des médias comme Acrimed ont commencé à se faire connaître. Et des documentaires radicaux comme Les nouveaux chiens de garde ou La sociale ou trouvé de nouveaux canaux de diffusion.

Ce dont l’élection de Trump et le Brexit sont la conséquence est bien moins l’entrée dans une hypothétique ère de « post-vérité » que l’expression d’un ras-le-bol des élites et de leur propagande de la part des citoyennes et citoyens réguliers des pays riches. Certes, un ras-le-bol exprimé de manière contradictoire pour l’élection de Trump. Certes, exprimé pour de mauvaises raisons pour le Brexit.

Mais ça n’est pas le signe d’une insensibilisation à la vérité ou aux faits, comme le clament les journalistes. Car ces journalistes qui se targuent de diffuser la vérité et s’adonnent avec hypocrisie au fact-checking, sont en fait des propagandistes de la plus pure race.

Alors bien sûr, je ne dis pas que tout est beau dans le doux royaume d’internet. Évidemment, il y a aussi les propagandistes de l’extrême droite qui y sont très actifs (en particulier, à mon grand regret, sous mes yeux sur diaspora*). Il y a les complotistes et les illuminés en tout genre. Ceux qui diffusent des preuves que les Américains ne sont jamais allés sur la Lune, directement extraits d’un canular diffusé sur France 5. Ceux qui clament que la terre est plate et que les satellites n’existent pas. Ceux qui diffusent des articles de l’Opinion

Mais pas plus ou pas moins qu’en dehors d’internet.

Notes de bas de page :
  1. À ce propos, je vous conseille de voir cette vidéo de la chaîne Heu?rêka qui explique bien pourquoi il n’y a aucune corrélation entre chômage et croissance

Déjà 5 avis pertinents dans La post-vérité, la pathétique nouvelle invention des journalistes pour tenter de couvrir leur perte de crédibilité

  • Benjamin Cathelineau
    Heureusement qu’on peut s’informer ailleurs que dans les médias traditionnels. Il y a bien médiapart par exemple, mais également de nombreuses chaînes youtube, comme celle de Heureka justement,mais également hacking social et leur blog, ou usul. Si on est suffisamment éduqué à porter un regard critique quand à la parole des médias ont peut toujours se débrouiller pour éviter la propagande néo libérale anti sociale.
  • AkhThoT

    « Si on est suffisamment éduqué à porter un regard critique quand à la parole des médias ont peut toujours se débrouiller pour éviter la propagande néo libérale anti sociale. »

    Le début de la phrase est bon, par contre la fin prouve sans conteste que vous n’êtes pas assez critique. A quoi ça sert de fuir la presse traditionnelle pour ces mensonges et finalement aller croire en d’autres mensonges ?

    Bref, il ne faut pas croire que l’ennemi c’est l’autre, c’est notre propre aveuglement et notre propre manque d’esprit réellement critique. Alors presse traditionnelle ou non …

  • lp
    > Bref, il ne faut pas croire que l’ennemi c’est l’autre, c’est notre propre aveuglement et notre propre manque d’esprit réellement critique. Alors presse traditionnelle ou non …

    Je suis d’accord, la question n’est pas d’éviter à tout pris telle ou telle source d’information (par contre, en connaître les biais c’est important, tant pour la presse traditionnelle que pour le reste) mais plutôt de les varier suffisamment pour ne pas s’enfermer dans telle ou telle vision du monde. Plus d’information au lieu de moins, et une réflexion critique derrière.
    D’autant qu’en variant les sources on se rend compte des incohérences, et donc on affûte son esprit critique.

    @Augier: merci pour ce billet qui remets les pendules à l’heure sur un phénomène qui n’est pas nouveau du tout.

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