Quand une DRH te stalk depuis LinkedIn

J’ai reçu cet après-midi un email bien gratiné d’une DRH que, visiblement, mon profil LinkedIn intéressait. Je vous en offre une version commentée (je vous glisserai un verbatim à la fin de l’article).

Bonjour,

J’ai récemment consulté votre profil Linkedin et je me permets de vous contacter pour échanger ensemble sur les opportunités que nous pouvons vous proposer pour votre stage de fin d’études.

Trop aimable. Au fait, chuis apprenti, j’ai pas de stage de fin d’études. T’es sûre que t’as bien lu le profil, ou…?

La première expérience est cruciale dans une carrière. C’est pourquoi nous vous proposons un vrai tremplin.

Wow ! Un vrai tremplin !? Même pas un faux en plastoc !?

<entreprise> intervient autour de la transformation digitale et la modernisation du Système d’information.

Heu… Kamoulox ?

Notre expertise :
L’innovation fait partie intégrante de notre métier. Nous concentrons notre expertise sur l’API management, la mobilité, les objets connectés, le big data et le cloud.

Sérieux, tu peux pas faire plus cliché ? Putain, l’API management, on me l’avais jamais faite celle-là ! Je n’ai aucune idée de ce que ça peut putain de vouloir dire ! Et pourtant, le dev d’API, c’est mon métier…

Notre force :
Accompagner nos clients du conseil, jusqu’à la mise en œuvre de solutions complexes.

« Choisissez-nous, les gens ! On vous jure qu’on fait notre travail jusqu’au bout ! »

Nous nous engageons sur la faisabilité technique de ce qu’on conçoit.

Wait… C’est pas le taff normal d’une boîte de consulting, ça !? En quoi ça constitue spécialement une force de faire correctement son taff ?

Nos valeurs :
Toujours dans l’excellence, pour nous, la qualité est primordiale.

La vache ! La qualité dans l’excellence, elle est bien bonne, celle-là !

Notre état d’esprit pionnier et de partage sont 2 autres piliers forts de <entreprise>.

Nos chiffres : 50 collaborateurs actuellement, 4 M€ de CA en 2014. Un Chiffre d’affaires tous les ans en forte croissance.

Regarde comme on en a une grosse[1] !

Nous recrutons avant tout des ingénieurs à fort potentiel, pour des stages de fin d’étude en pré-embauche et principalement des CDI.

« On embauche des étudiants-esclaves et un peu de temps-plein » Sans dec !? Des CDI, carrément !? Bordel, j’aurais kiffé sa race l’entreprise qui a les bollocks de dire : « on bosse qu’avec des intérims, c’est flexible et on peut les dégager une fois le projet terminé » Ça aurait bien plus de gueule, nan ? Moi je signe direct !

Les candidats qui réussissent le processus de recrutement sont évolutifs [comprenez corvéables à merci], communicants [comprenez savent parler pour ne rien dire] et ont envie de s’investir [retenez bien s’investir, c’est important pour la suite de l’article] dans une société qui croit [qui croit à quoi !? Ah, nan, merde, y’a une faute : c’est qui croît] et propose tous les jours de nouvelles responsabilités à ses collaborateurs.

Vous êtes passionné par la technique et les technologies innovantes, que ce soit le développement objet, mobile, l’architecture des SI, les objets connectés ou même le Big Data mais vous souhaitez avoir des perspectives d’évolution bien au-delà : Nous vous donnons la possibilité d’évoluer vers de la gestion de projet, de l’architecture, des missions de conseil… puisque nous gérons les projets de bout en bout.

Ah oui, ça, c’est un truc qui m’a aussi toujours rendu malade : considérer qu’évoluer, dans l’informatique, c’est devenir chef de projet et arrêter de cracher du code. Je t’emmerde, connasse. Je suis bien dans mon métier. Je veux pas faire autre chose.

Chez <entreprise>, chacun construit sa carrière autour de plusieurs compétences :

lol

 

Le petit diagramme qui poutre bien sûr !

Par où commencer…?

Premièrement, je suis consterné par la condescendance et le mépris de la DRH qui souhaite « échanger [avec moi] sur les opportunités [qu’elle peut me] proposer pour [mon] stage de fin d’études » parce que « La première expérience est cruciale dans une carrière » et donc, « C’est pourquoi [elle me propose] un vrai tremplin ». Sauf qu’il se trouve que :

  1. j’ai déjà eu des expériences professionnelles avant de reprendre mes études,
  2. je suis apprenti ce qui signifie que :
    1. j’ai pas de stage de fin d’études,
    2. je totaliserai, à la fin de l’année, trois ans d’expérience en entreprise comme développeur,
  3. je suis contributeur pour le réseau social diaspora* depuis 1 an et actuellement l’un des plus important contributeurs.

Je ne pense donc ne pas me fourvoyer en imaginant que j’ai déjà un pied bien ancré dans le travail et, en particulier, dans le métier d’informaticien et que je n’ai pas spécialement besoin de son minable trampoline Fisher Price… À côté de ça, à aucun moment mon nom est cité dans l’email. Ça pue le spam à partir d’un plugin LinkedIn. Alors quoi ? Nous qui cherchons du travail ne devrions pas envoyer d’emails trop génériques aux entreprises mais celles-ci ne s’en priveraient pas !? Nan. Pas pour moi. Je vais peut-être passer pour un mec qui a trop d’égo mais je demande un minimum de respect. Si cette dame m’a contacté, c’est que mon profil l’intéresse un minimum. Qu’elle fasse alors le minimum d’efforts requis. Je ne suis pas du bétail.

Deuxièment, le ton de l’email me fout les jetons. Mais vraiment. Il est caractéritique d’un nouveau type d’entreprise qui se veut dynamique, innovant, qui embauche des personnes passionnées et qui ont envie. Bref, d’une entreprise qui se veut une grande famille et qui attend que l’employé se dévoue corps et âme à l’entreprise.

Et là, je cite du Lordon dans le texte :

« Il est vrai que […] la [lettre de motivation] est moins une déclaration d’intérêt spécifique que l’affirmation d’une normalisation sociale d’ensemble avancée comme prédisposition générique à la vie salariale, par quoi, incidemment, s’atteste la congruence de l’emploi salarié à un ordre social tout entier […] Mais il en faut davantage pour convaincre l’employeur : notamment des démonstation de désir spécifique (à l’entreprise) authentique. […] Comment faire pour sonder les dispositions, s’assurer des orientations de la puissance d’agir, être bien certain de l’automobilité adéquate? On n’en finirait pas de recenser les pratiques les plus extravagantes, parfois confinant au délire, que déploient les directions des ressources humaines pour tenter de percer ce noyau dur de l’individualité désirante, entreprise sans espoir rationnel, par conséquent vouée à toutes les irrationalités. La métamorphose des procédés de recrutement survenue depuis deux décennies enferme d’ailleurs à elle seule les transformations contemporaines du capitalisme et notamment de son régime de mobilisation puisque les anciennes sélections, quasi mécanisables, assises sur les critères simples de la formation et de l’expérience, adéquates à des emplois à définition précise, comme ensemble de tâches élémentaires bien spécifiées, ont laissé la place à des formes d’investigation prenant pour objet des dispositions, conformément à des emplois désormais définis par objectifs (« projets »), abandonnant aux salariés « autonomes » l’initiative d’en inventer les modes opératoires. La généricité croissante des définitions de poste appelle donc des sélections de registre équivalent, c’est-à-dire par compétences comportementales génériques, bien plus que par compétences techniques spécifiques. Or, si l’appréciation des compétences techniques est a minima rationalisable, celle des compétences comportementales l’est infiniment moins. La pression pour porter au jour ex ante ce qui ne peut l’être qu’ex post et dans l’expérience même est cependant si forte que tout sera essayé, jusqu’au plus insane — jeux de rôles (supposés dotés d’effets de révélation), questionnements inquisitoriaux normalement hors de propos (mais la vie personnelle doit recéler des informations précieuses puisque c’est « tout l’individu » qu’on veut cerner), protocoles d’expérimentation quasi-behaviouristes (pour tester les réactions du sujet), graphologie (puisque les secrets du caractère sont enfermés dans les pleins et les déliés), voire physiognomonie (les rondouillards sont souvent indolents), numérologie (les chiffres ne mentent pas), ou astrologie (les planètes non plus)… »

Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude, p.114-116

L’entreprise sait pouvoir compter sur des «âmes ardentes» […] et pour ces âmes-là, qui investissent l’entreprise autant que l’entreprise les investit [je vous avais dit de noter l’investissement plus haut, n’est-ce pas ?], la colinéarisation de principe est immédiate.

Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude, p.134

Je suis peut-être un mec à l’ancienne, mais lorsque je vais au boulot, je vais pas en soirée, je vais pas chez des potes, je vais pas à un repas de famile. Bref, je vais pas m’amuser, je vais au boulot. Pendant 7 heures, et 7 heures seulement, je vais accomplir un travail subordonné. Je vais là-bas et je fais ce qu’on me dit, dans la limite du légal et de ce que je considère moral.

Pas plus.

Je ne vais pas aux pots de départ. Je ne vais pas aux bouffes d’entreprises. Je ne vais pas aux sorties le week-end. Je ne suis pas là pour me faire des potes, je suis là pour faire un métier.

Pas plus.

Cette nouvelle mode de l’entreprise capitaliste qui veut qu’on lui montre de l’amour, de la reconnaissance, qu’on bosse dans le fun, c’est pas mon kiff. Je n’entends pas me laisser saisir par mon entreprise. Et c’est pourtant précisémment ce qu’attend de moi l’entreprise qui m’envoie ce genre d’emails. Alors je me suis fendu d’une réponse à cette DRH. Mon petit plaisir personnel. La voici :

Bonjour,

Je vous remercie de l’attention que vous portez à mon profil.
Malgré les qualités évidentes que présente votre offre, je me vois dans l’obligation de ne pas y donner suite.
En vous souhaitant bonne chance dans la suite de vos recherches de jeunes étudiants à exploiter.

Ce n’est pas tout les jours qu’on peut arroser l’arroseur, n’est-ce pas ? :D

Email complet

Bonjour,

J’ai récemment consulté votre profil Linkedin et je me permets de vous contacter pour échanger ensemble sur les opportunités que nous pouvons vous proposer pour votre stage de fin d’études. La première expérience est cruciale dans une carrière. C’est pourquoi nous vous proposons un vrai tremplin.

<entreprise> intervient autour de la transformation digitale et la modernisation du Système d’information.

Notre expertise :
L’innovation fait partie intégrante de notre métier. Nous concentrons notre expertise sur l’API management, la mobilité, les objets connectés, le big data et le cloud.

Notre force :
Accompagner nos clients du conseil, jusqu’à  la mise en œuvre de solutions complexes.
Nous nous engageons sur la faisabilité technique de ce qu’on conçoit.

Nos valeurs :
Toujours dans l’excellence, pour nous, la qualité est primordiale.
Notre état d’esprit pionnier et de partage sont 2 autres piliers forts de <entreprise>.

Nos chiffres : 50 collaborateurs actuellement, 4 M€ de CA en 2014. Un Chiffre d’affaires tous les ans en forte croissance.

Nous recrutons avant tout des ingénieurs à fort potentiel, pour des stages de fin d’étude en pré-embauche et principalement des CDI.

Les candidats qui réussissent le processus de recrutement sont évolutifs, communicants et ont envie de s’investir dans une société qui croit et propose tous les jours de nouvelles responsabilités à ses collaborateurs.

Vous êtes passionné par la technique et les technologies innovantes, que ce soit le développement objet, mobile, l’architecture des SI, les objets connectés ou même le Big Data mais vous souhaitez avoir des perspectives d’évolution bien au-delà : Nous vous donnons la possibilité d’évoluer vers de la gestion de projet, de l’architecture, des missions de conseil… puisque nous gérons les projets de bout en bout.

Chez <entreprise>, chacun construit sa carrière autour de plusieurs compétences :

lol

Notes de bas de page :
  1. Entreprise, hein !

Déjà 8 avis pertinents dans Quand une DRH te stalk depuis LinkedIn

  • Si je t’envoie mes mails, tu fais pareil ? Y’a vraiment de quoi se marrer ! Je ne fais même plus attention à ces mails à la con. Un ou deux par semaine viennent me faire rire mais sans plus. Les entreprises cherchent de quoi se mettre sous la dent, ça m’fait plaisir de ne pas répondre.
  • Je ne vais pas aux pots de départ. Je ne vais pas aux bouffes d’entreprises. Je ne vais pas aux sorties le week-end. Je ne suis pas là pour me faire des potes, je suis là pour faire un métier.

    Pas plus.

    Autrement dit, tu vas juste faire ton job. Surtout pas chercher à ameliorer ta vie sociale ou autre. Tu seras donc bel et bien dans le boulot chiant. D’ailleurs tu le revendique un peu quelque part qu’il soit chiant !

    J’aurais tendance à dire que si le boulot est chiant, ça te permet de justifier ton anti-capitalisme…

    Je dis pas que tous les jobs sont cools (he ! moi je suis dans un job chiant !), ni qu’ils doivent bouffer ta vie, que tu dois coucher avec tes collègues de boulot ou autre…

    Mais j’ai du mal à comprendre qu’on ne veuille pas considerer son job juste comme une partie de sa vie. Une partie qui puisse t’apporter plus qu’une simple rentrée d’argent régulière. Non, travail et vie sont deux choses séparées par une muraille de Chine infranchissable

    Sinon, sur le courriel Linkedin, pas de remarques. Je suis plutôt d’accord avec toi.

  • Le boulot n’est plus une partie seulement de la vie des gens, mais leur vie.

    Là on est d’accord (relativement). Il y a cette tendance en France à la dichotomie : soit le boulot c’est la vie, soit le boulot, c’est l’enfer, ou PAS la vie.

    Mais tu n’as pas besoin de refuser non plus que ton employeur te propose des pots de départs. Tu fais dans l’excès inverse (c’est mon point de vue, tu l’as compris).

    IL est vrai que cet enfermement dans un statut professionnel au lieu du statut social (je suis sûr que tu vois la différence que je pointe du doigt) est énervante. Tu es déjà allé à un mariage ? Les mariés sont désignés par leur profession ! C’est cooooonnnn, réducteur…

    Mais par exemple, si dans une conversation on me demande ce que je suis, je répondrais que je suis ingénieur. C’est un statut social, et ça s’étend large, au delà de ma profession (d’ailleurs encore une fois, je n’exerce pas comme ing’ en ce moment). Ça a un impact sur mon engagement social, sur ma façon de penser la société, sur ma façon d’apprendre les langues (le danois). Et tout ça je peux l’expliquer, le décrire, et expliquer que pour moi, être ing’ c’est pas seulement un boulot ou une qualification professionnelle.

    Il y a de nombreuses manières de retourner ça, mais je pense que tu est excessif. Je te laisse réfléchir à la question.

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