La misère sexuelle n’existe pas

Note préliminaire : les commentaires sont fermés parce que j’ai commencé à recevoir des commentaires de mascus me traitant de fragile. Sauf qu’en fait, votre avis, je m’en cogne, je sais pas comment vous expliquer… Si vous avez quelque-chose à répondre à ce billet, ouvrez votre propre blog, y’a plein de tutos sur les internets. Pour des vrais mecs comme vous, un peu de ligne de commande ne devrait pas trop vous effrayer.

 

Il y a environ 2 ans, je fêtais tout juste mon 28ᵉ anniversaire. C’est également l’époque où, en France, on entendait parler des incels, à la suite de l’attaque terroriste de 2018 à Toronto. Le terroriste, Alek Massanian, se revendiquait de ces communautés misogynes d’hommes persuadés d’être des mecs trop gentils et que cette gentillesse les empêche d’atteindre le bonheur absolu représenté par la vie en couple, les femmes étant indubitablement attirées par les sales types.

Ces hommes, persuadés d’être des victimes du féminisme s’imaginent que la libération sexuelle est à l’origine de leur malheur en permettant aux « Chads » de séduire toutes les « Stacys ». Si vous vous demandez qui sont les Chads et les Stacy, sachez de ce sont des stéréotypes n’ayant aucune existence réelle. Les incels se figurent les hommes comme appartenant à 2 catégories : ceux qui séduisent et ceux qui sont trop gentils. Persuadé que les femmes qu’ils convoitent sont irrémédiablement attirés par des salops — incapables qu’ils sont de se figurer les femmes comme des sujets conscients ayant une pensée propre — ils s’imaginent comme les grands perdants d’une société dans laquelle la gentillesse est un handicap.

Pour remédier à leur situation, ils souhaitent une révolution conservatrice pour remettre au cœur de la société les valeurs du mariage pour la vie et de la monogamie. Ces hommes ont une vision fantasmée de la société des années 50, en somme. Ils sont persuadés qu’à l’origine de la fin de cette espèce d’âge d’or amoureux, il y a le féminisme qui a engendré la libération sexuelle et permis aux femmes qu’ils convoitent, les « Stacys », de se mettre en couple sans entrave avec les « Chads ».

Schéma issu d'un forum incels décrivant comment ils s'imginent l'état des relation de copuple avant et après la révolution sexuelle. Avant, chaque homme est avec une et une seule femme, après presque toutes les femmes convoitent un groupe restraint d'hommes
Voici une image issue d’un forum incels montrant comment ils se représentent l’état des relations de couple avant et après la révolution sexuelle.

Ces hommes, persuadés d’êtres des victimes du féminisme sont en fait un pur produit du patriarcat. Ils sont le produit d’une société qui valorise un stéréotype d’homme séducteur et assimile les femmes à des récompenses pour les efforts fournis. De fait, tout homme hétéro qui n’arrive pas à s’identifier à ce stéréotype cours le risque de perdre toute confiance et se pose lui-même des handicaps dans sa relation aux autres, particulièrement sa relation aux femmes.

Si je vous raconte ça, c’est parce qu’il y a 2 ans, je rencontrais la femme avec laquelle je suis en couple aujourd’hui. La première que j’ai embrassée. La première avec laquelle j’ai fait l’amour.

Je suis resté vierge jusqu’à 28 ans. Et je peux vous dire que, dans une société patriarcale, qui valorise les hommes entreprenants, qui enchaînent les « conquêtes féminines », qui valorise les « Chads », c’est une situation extrêmement difficile à vivre pour un homme hétérosexuel. C’est une réalité que j’ai cachée très longtemps. Bien que je n’aie aucun doute que mon entourage le plus proche se doutât bien de la chose.

Si je vous raconte tout ça, c’est parce que je comprends ce que vivent les incels et je comprends ce qui les amène à voir le monde d’une façon aussi déformée et stéréotypée.

J’aurais pu en devenir un. C’est une vision du monde à laquelle j’ai moi-même adhéré un temps. J’ai, moi aussi, été un jour persuadé d’être trop gentil. J’ai, moi aussi, cru que les femmes préfèrent les mauvais garçons, ceux qui les font souffrir. Et j’aurais pu devenir aussi misogyne qu’eux. Les incels me tendent aujourd’hui un miroir dans lequel il n’est pas agréable de me regarder. Un miroir qui me fait comprendre à quel point je suis, moi aussi, un pur produit du patriarcat.

Si je vous raconte ça, c’est parce que je comprends la frustration que ressentent ces hommes.

Mais devinez quoi : la frustration n’est pas une circonstance atténuante. La misère sexuelle n’existe pas, car le sexe n’est pas un besoin vital. Un besoin vital est un besoin qui nécessite d’être satisfait pour rester en vie. Comme boire, manger, pisser et chier. Si le sexe était un besoin vital, je n’aurais pas pu survivre à mes 28 années d’abstinence. Et pourtant j’ai survécu et je n’ai jamais agressé sexuellement qui que ce soit. En fait, rien ne justifie un viol, une agression sexuelle ou un féminicide. Particulièrement pas la frustration sexuelle.

La frustration est une sensation extrêmement désagréable, je le concède. J’en ai moi-même fait l’amère et longue expérience. Mais c’est une sensation que l’on apprend pourtant à apprivoiser pendant l’enfance. Une personne qui ne sait pas contrôler sa frustration et qui cède à la colère dès qu’elle se manifeste est une personne qui n’a jamais passé le cap de l’enfance. Les agresseurs sexuels sont des enfants. Les violeurs sont des enfants. Des enfants capricieux qui n’acceptent pas qu’on leur dise non. Sauf qu’eux ne se roulent pas par terre en pleurant dans le magasin. Ils font pire. Et ça détruit des vies.

Que se serait-il passé, si je m’étais trouvé à Toronto le 23 avril 2018 ou à Isla Vista, le 23 mai 2014, au bras de la femme que j’aime ? Aurais-je moi-même été considéré comme un « Chad », moi, l’homme en surpoids geek, introverti et atteint d’un TDA/H ? Aurais-je été moi aussi abattu pour être en couple, quand bien-même je fais objectivement partie du stéréotype d’hommes dont les tueurs prétendent défendre les intérêts ?

Cet article est très difficile pour moi à écrire. Car c’est de loin le sujet le plus personnel que j’ai pu aborder sur ce blog et c’est un sujet qui m’a complexé depuis le tout début de l’adolescence. J’ai en tête de l’écrire depuis 2 ans et il m’a fallu tout ce temps pour trouver le courage de le faire. Seulement je considère que c’est un sujet grave et qu’il ne concerne pas que moi. Peut-être que si nous, les hommes hétéros cessions d’entretenir le silence sur la réalité de notre vie sexuelle et amoureuse, si nous étions plus nombreux à parler avec franchise de nos échecs, de nos difficultés à jouer le jeu de la séduction, si nous étions plus nombreux à avouer notre manque de confiance en nous, les choses iraient mieux. Et peut-être, si j’avais eu plus de modèles d’hommes ayant démarré leur vie sexuelle et amoureuse au-delà de 25 ans, j’aurais eu plus confiance en moi et je me serais moins fait de mal.

Je pense qu’il est temps pour nous, les hommes hétéros de cesser de valoriser ce stéréotype de masculinité triomphante et de vouloir nous identifier à lui. Un modèle qui est, certes extrêmement toxique pour les femmes, mais également très toxique pour beaucoup d’entre nous aussi. Car combien sommes-nous vraiment à réussir à s’identifier à ce modèle ? Et combien sommes-nous à souffrir de ne pas réussir à atteindre cet idéal fantasmé ?

C’est pour ça que je fais le choix aujourd’hui de me mettre à nu ici. Voilà. C’est moi : Augier, 30 ans, geek, petit, gros, complexé et puceau jusqu’à l’âge de 28 ans. Mais c’est aussi moi : Augier, nounours, curieux, câlin, heureux, entouré d’amis fabuleux et d’une chérie formidable.

Cette contribution est probablement brouillonne. Et très certainement insuffisante. Les mots sont peut-être maladroits et mal choisis. Mais j’estime aujourd’hui nécessaire pour moi de l’écrire. De tenter de faire ma part. De tenter d’être un allié de la lutte contre le patriarcat.

 

PS : j’ai reçu des remarques de personnes que la phrase « La misère sexuelle n’existe pas, car le sexe n’est pas un besoin vital » ont fait tiquer, m’indiquant que, si, le sexe est vital pour la survie de l’espèce. Soyons clairs : évidemment, à l’échelle de l’espèce tout entière, le sexe est un besoin vital pour sa perpétuation. Mais ce n’est pas un problème en soi, car le sexe consensuel reproductif est très courant à une telle échelle. Sauf que cette règle — vraie à cette échelle — n’est absolument pas généralisable à n’importe quel sous-groupe, quelle que soit sa taille. En particulier pas à l’échelle individuelle. Si c’était le cas, on observerait que les personnes n’ayant aucune activité sexuelle au cours de leur vie ont une espérance de vie plus courte que les autres. Or, ce n’est pas ce qu’on observe. En particulier, il existe, dans l’espèce humaine, des personnes asexuelles et/ou a-romantiques qui ne pratiquent aucune activité sexuelle tout au long de leur vie sans que ça ne leur pose le moindre problème de santé. Donc non, le sexe n’est toujours pas un besoin nécessaire à la survie des individus.

D’autres personnes m’ont fait remarquer que le manque d’affection et le rejet provoquent l’isolement et la dépression, augmentant considérablement le risques de suicide. Et je suis parfaitement d’accord avec ce constat. Je suis très bien placé pour en parler ! Et c’est un problème de santé publique majeur, c’est évident. Mais, ici aussi : le problème n’est toujours pas le manque de sexe. C’est le manque d’affection. La preuve étant qu’une bonne branlette ne règle pas le problème. Et pourtant, la masturbation aussi, c’est sympa. Le problème ici, c’est encore la pression sociale qui fait que, pour la majorité des gens, ne pas être en couple, ne pas avoir d’activité sexuelle régulière est source de moqueries et de mépris, y compris de sa propre part. C’est ça, qui pose problème. Pas le manque de sexe.

Admettre que la misère sexuelle existe, c’est dans le même mouvement admettre qu’il existe un droit fondamental à l’accès au sexe comme il existe (devait exister ?) un droit fondamental à l’accès à la culture. Et j’ai fondamentalement un problème avec ça car admettre qu’il existe un droit à l’accès au sexe, c’est admettre qu’il est acceptable d’outrepasser le consentement au sexe pour permettre l’accès à ce droit. L’exemple le plus évident, c’est le droit à l’usufruit de son patrimoine — en particulier son argent — qui connaît d’importantes limitations comme les prélèvements obligatoires (impôts, cotisations, etc.) ou l’interdiction et déshériter ses enfants, etc. Et ce, pour permettre d’autres droits comme le droit à certaines infrastructures publiques (bibliothèques, piscines municipales, routes, pont, etc.).

Or, en amour comme en sexe, je considère le consentement de la part de toutes les parties comme la règle d’or.

Déjà 2 avis pertinents dans La misère sexuelle n’existe pas

  • Il est toujours difficile de répondre á un tel article…surtout quand on aurait pu (du…) l’écrire soi même 17 ans plus tôt. Voilà tu imagines mon âge aussi comme ça. J’adhère totalement même si la situation est différente, du moins physiquement. Que puis-je dire sinon que ce bonheur dure maintenant car la vie réserve bien des surprises, bonnes….mais parfois mauvaises.
  • Un autre blogger un peu geek
    Je ne l’ai pas vécu aussi longtemps, mais je l’ai vécu aussi, cette frustration intense. L’idée d’être trop gentil, et que les femmes choisissaient toujours les mauvais garçons.
    Je n’ai pas beaucoup été aidé par une amie que j’ai tenté de séduire et qui m’a dit « tu seras jamais avec quelqu’un, il faut que tu deviennes plus macho ».
    Ca a vraiment fait très très mal car j’étais tiraillée entre l’idée de devoir changer ce que je suis ou accepter de continuer à être puceau en gardant mes principes.
    Au final, je suis aujourd’hui avec la femme de ma vie, qui est aussi la mère de ma petite fille de 2 ans.
    Alors oui, j’aurais aimé pouvoir lire un tel article ou avoir plus de témoignages pour comprendre que oui, c’est normal de jamais avoir été en couple au collège, lycée, voire même après. Et que non, les femmes ne sont pas stupides au point d’être irrémédiablement attirée que par ceux qui les font souffrir.

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