LCE : Vous connaissez la techno belge ?

Note : ceci est une mise en billet corrigée et complétée d’un fil Mastodon que j’ai écrit hier soir.

Bonsoir et bienvenue dans #LCE, Les Curiosités Électroniques. Dites, vous connaissez la techno belge !?

À la fin des années 80, la techno et la house naissent aux États-Unis. L’une à Detroit, l’autre à Chicago. Elles s’implantent primairement en Angleterre, qui a des relations privilégiées avec son cousin américain. Un des grands noms de ces mouvements naissants est Mr. Fingers (aka Larry Heard), ici avec Can you feel it? en 1986 :

Entre 92 et 94, les rave parties qui se sont créées en Angleterre sont criminalisées par le gouvernement Thatcher. Les sections 63, 64 & 65 du Criminal Justice & Public Order Act de 1994 interdisent notamment les rassemblements autour de musiques répétitives. C’en est trop pour les sound-system anglais comme Spiral Tribe qui décident d’émigrer vers le continent. Leur remix de Change du groupe Killing Joke est un exemple de ce qui s’écoute en rave à l’époque.

La techno, qui avait pu s’implanter ailleurs en Europe — mais beaucoup plus sporadiquement — va alors déferler sur le continent. Et notamment, — vous l’avez compris — en Belgique qui va développer un style bien spécifique qui connaitra son âge d’or à la fin des années 90. Mais rembobinons. À la base de tout ça, il y a la New beat caractérisée par le 33+8. Ici, par exemple avec Flesh (New beat edit) du groupe A split second :

(https://www.youtube.com/watch?v=k6XfRWVZvms)

Ce titre est crédité pour être le premier a avoir connu une version 33+8. Le 33+8, c’est une technique qui consiste à jouer un vinyle 45t en 33t en ajoutant +8% de vitesse. Le son est alors beaucoup plus lent, les basses ressortent plus. C’est la vaporwave avant l’heure, et c’est belge. Succès massif. Les remix 33+8 et originaux New beat vont déferler sur la Belgique. La scène techno belge sait qu’elle tient un truc. Et ne veut pas rater cette vague-ci. La New beat fait exploser les boîtes belges. Un style vestimentaire se développe. Notamment l’habitude de porter des logos VW ou Mercedes autour du cou (ma chérie en a encore dans ses tiroirs 😏).

Tout ceci se passe à l’époque de La isla bonita, de Madonna.

Mais, en 1986, en Belgique, ce qui remplit massivement le top 10, c’est la new beat. Sauf que, comme tous les styles de musiques à succès, le rêve va vite dégénérer. Les succès qui s’enchaînent, la production qui s’industrialise vont finir par avoir raison du style.

L’exemple représentatif de cette dégénérescence, c’est This is the sound of C du groupe Confetti’s :

 

(https://www.youtube.com/watch?v=XkiKx81sf_c)

Immense succès… Et début du déclin.

Nous sommes en 1988 alors qu’en Angleterre se déroule le Summer of love qui marque l’apparition des raves parties de plusieurs dizaines de milliers de personnes avec forains et y marque aussi l’explosion en de l’Acid house venue des États-Unis.

Partout dans la monde, la fin des années 80 marque la fin d’une ère. La fin de l’innocence et le début d’une société de crise systémique de surproduction. Technotronic sort Pump up the jam en 1989.

(https://www.youtube.com/watch?v=9EcjWd-O4jI)

Mais la New beat va préparer le terrain en Belgique pour l’arrivée de la techno. Le plat pays vient de passer quelques années à bidouiller des synthés et à jouer avec des samples. Et tout ça va payer sur la scène techno. Lorsqu’elle déferle sur l’Europe, le pays est prêt et va faire émerger des superstars comme Frank de Wulf ou Lords of Acid. Les Belges sont barrés et jouent avec tout ce qui leur passe entre les doigts. Ils utilisent des sons qui sortent de nulle part. Et ça va donner un son très, très particulier, souvent très agressif. Tout y passe : les chœurs de champs grégoriens, les extraits d’opéra ou même les samples de morceaux de soul tellement modifiés que c’en est terrifiant. Par exemple, le fameux Anasthasia de T99 (sur des sample de Love Unlimited Orchestra) :

(https://www.youtube.com/watch?v=Mx3LccRvidg)

Et c’est le boum. La Belgique s’impose tout naturellement sur la scène techno mondiale. En 1992, le label Bonzaï records voit le jour. Une maison qui va mettre sur orbite des classiques de la techno belge (et mondiale) mais qui disparaîtra, malheureusement en 2003 😢

Exemple avec The first rebirth de Jones & Stephenson. Classique des classiques de Bonzaï (selon ma chérie !) :

(https://www.youtube.com/watch?v=GqIHVJX8HRU)

La Belgique attire tous les regards. Et des gens du monde entier viennent signer sur des labels belges. À l’image de Joey Beltram, de New York, qui signe Energy Flash chez R&S Records en 1990 (l’année de ma naissance). R&S est un immense label avec un catalogue incroyable. Pratiquement que des classiques à l’images de The vamp de Outlander, ici remixé par un autre belge (dont on a déjà parlé un peu plus haut) : Frank de Wulf.

(https://www.youtube.com/watch?v=NvNzxkCLdPQ)

La Belgique passe toutes ses soirées en boîtes. Et comme partout ailleurs dans le monde, le carburant de la fête, c’est les drogues. L’acid, (LSD), les ecstas (amphétamines), etc. La Belgique ne sera pas épargnée. Avec out ce que ça implique pour la santé publique. Certains titres techno font l’apologie de la drogue comme Float In A dream of EX-TC de Fire On High. Et les autorités, en Belgique, vont régir comme partout ailleurs : avec des campagnes médiatiques contre la techno et des fermetures de clubs. Mais tout ça n’arrêtera pas la techno belge.

En 1993, le groupe belge The Immortals, mené par Praga Khan (aussi dans le groupe Lords Of Acid), signe la cultissime (et un peu kitchouille) B.O. du jeu Mortal kombat avec son célèbre Techno syndrome :

(https://www.youtube.com/watch?v=RCDW22ENq68)

(Je pense que ça va madeleine-de-proustiser du monde, ça 😏)

Mais, si Techno syndrome nous paraît kitchouille aujourd’hui, elle est complètement dans la veine de la techno belge de l’époque qui tape dans des samples inattendus pour produits des sons extrêmement brutaux. Et ce n’est pas pour rien que la Gabber, sa cousine, va prendre ses racines dans le coin (en fait à Rotterdam aux Pays-Bas). On peut reconnaître la filiation dans ce classique du genre, God is a gabber, de Rotterdam Terror Corps :

(https://www.youtube.com/watch?v=90gV5L9j7GQ)

Sur ce, il est temps de conclure cette (très) brève histoire de la musique électronique. Je vous laisse avec une grande dame de la techno belge : Liza ‘N’ Eliaz — malheureusement morte en 2001 — et surnommée Queen of Terror. Parce que la scène techno belge, c’est aussi une grosse scène hardcore. Et très tôt. Mais c’est une autre histoire.

Pure & Liza ‘N’ Eliaz ‎– Killerbees on acid

P.S. : Une grande partie de ce billet est tiré d’un documentaire d’Arte que je vous recommande chaudement : The sound of Belgium (disponible plus ou moins légalement ici).

Les commentaires sont fermés.