La drague, c'est pas mon truc

Aujourd’hui, je me suis retrouvé à lire The plight of the bitter nerd: Why so many awkward, shy guys end up hating feminism, article dans lequel l’auteur aborde, par le prisme de l’expérience de plusieurs personnes — dont la sienne — la difficulté qu’ont certains hommes à aborder les femmes. Et je me suis dit que si cet homme avait trouvé le courage de parler de quelque chose d’aussi intime, d’aussi tabou que ce sujet précis et que s’il y avait une chance infime que ce que je m’apprête à raconter aide ne serait-ce qu’une personne, alors ça valait le coup que j’en parle aussi, dans le confort de mon relatif anonymat. Alors allons-y tout de go : la chose de la séduction est un domaine qui m’échappe totalement. Ou pour le dire plus vulgairement[1], la drague, c’est pas mon truc.

Que l’on comprenne bien de quoi je parle : parler avec une femme ne présente aucune difficulté pour moi. Je suis quelqu’un de relativement sociable avec les hommes comme avec les femmes. Non, ce qui me pose vraiment problème, c’est l’étape de la séduction à proprement parler. Tout se passe très bien jusqu’à ce que se profile une forme d’enjeu. Là, c’est littéralement un sentiment d’effroi qui me saisi. C’est un sentiment indescriptible mais, par-dessus tout, difficile à vivre. C’est un sentiment que l’on n’extériorise pas facilement. La question est gênante et la société, qu’importe la manière dont ont le tourne, fait peser sur les hommes un poids lourd à porter.

Certes, les hommes, dans les sociétés occidentales, occupent une position indéniable de domination. Cela ne signifie pas pour autant de cette position soit sans conséquences ni qu’elle ne soit pas inconfortable. C’est ainsi qu’en 2002, à l’occasion de la sortie de son livre La domination masculine, Pierre Bourdieu présente l’analyse suivante :

Je pense que le dominant masculin […] souffre de […] cet espèce de devoir de virilité qui est une charge terrible[2].

Et c’est là où, je pense, réside le point faible de certaines formes de féminisme : celui de penser que nous profitons de cette position de domination et que, d’un seul homme, nous nous dresseront pour la défendre et la conserver. Ce n’est pas le cas. Car cette position de domination ne profite en réalité qu’à très peu d’hommes. Ceux qui ont une certaine faculté sociale. Les autres, souffrent du devoir de tenir cette position, de rentrer dans ce moule qui ne les sied pas. Car c’est malheureux à dire, mais la plupart des femmes continueront d’attendre que l’homme fasse le premier pas. Qu’il soit initiateur de la démarche. C’est ainsi que la société nous a éduqués.

Et cela peut entrainer des conséquences dramatiques. L’auteur de l’article précité le résume très bien par cette phrase à propos de l’un des protagonistes de son article :

To be blunt, Scott’s story is about Scott himself spending a lot of time by himself hating himself.

Ça a été mon cas. Peu de gens savent que je me suis haït pendant très longtemps. Personne ne sait même avec quelle violence j’ai pu me faire du mal. Et parfois il m’arrive encore de ne pas aimer ce que je suis. Vivre pendant aussi longtemps avec autant de souffrance laisse des traces. Certains n’y survivent d’ailleurs pas. C’est la plus grande épreuve qu’un être humain puisse rencontrer au cours de sa vie : réussir à guérir de sa propre détestation, de sa propre haine, de sa propre répugnance.

Si j’en parle aujourd’hui, c’est qu’avec le temps, j’ai fini par me rendre compte que ce poids ne pesait pas sur un si petit nombre de gens que je le croyais. J’ai grandi avec en tête une image de moi-même et des autres complètement faussée. Voyant souvent en les autres des gens doués de grandes facultés sociales et en moi-même une erreur, une aberration. Je n’ai jamais trouvé ma place nulle part pendant très longtemps. Comme ces nerds décris dans l’article. Et puis, peu à peu, j’ai fini par me rendre compte du nombre de gens qui avaient, eux aussi, mal vécu le lycée. Qu’ils avaient, eux aussi, connu nombre de déboires amoureuses et que, comme moi, ils continuaient encore, à l’âge adulte, d’être terrifié par le jeu de la séduction.

Comment ne pas s’écrouler sous le poids de l’exigence quand on grandi avec l’image du séducteur solitaire comme référent fictionnel ? La question de la séduction est un tabou culturel fort. Combien d’hommes entendons-nous avouer ne pas avoir eu le courage d’aller parler à cette femme aux yeux magnifiques qui a fait chavirer leur cœur ? Combien d’œuvres fictionnelles abordent la timidité avec un angle qui ne soit pas comique ?

Et pourtant, combien d’entre nous ont longtemps éprouvé cet effroi et, parfois, continuent de l’éprouver même à l’âge adulte ?

Notes de bas de page :
  1. Du latin vulgus, le peuple. Ici, à comprendre dans le sens du langage populaire
  2. Pierre Carles-La sociologie est un sport de combat (documentaire sur l’œuvre de Pierre Bourdieu)

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