J'aime avoir raison

Le texte ci-dessous sera probablement incompris par de nombreuses personnes. Le « Je » utilisé n’est pas moi, c’est une personne imaginaire dont le seul but est d’avoir raison dans la vie et notamment sur les sujets du domaine de l’informatique. Ce « Je » explique comment il s’y prendrait pour avoir toujours raison lors d’un débat sur un forum, sur un blog, sur un site. Ce « Je » explique également son histoire sur comment atteindre « le trône », être une personne écoutée, crainte et respectée (par la peur la plupart du temps) dans une communauté.

C’est une critique très dure et très noire des communautés informatiques (mais également des personnes qui cherchent à tout prix à avoir raison), ce n’est pas mon point de vue c’est une fiction, c’est un choix d’écriture c’est-à-dire comment j’ai décidé de traiter (mettre en perspective) le sujet.

J’espère que ça vous fera réfléchir sur votre comportement sur Internet. Vouloir avoir raison à tout prix (ou le dernier mot) est un non-sens, vouloir partager, apprendre, comprendre, progresser, ça a un sens.


J’aime avoir raison. J’adore ça. Je me sens puissant, je me sens fort, je suis invincible.

Qu’est-ce qu’il y a de mieux que ça ? Rien. Se sentir victorieux, être le plus intelligent, avoir mouché les prétendants, être sur le trône et savoir qu’on a raison. La puissance, l’envie dans les yeux des autres, c’est bon. La raison du plus fort est toujours la meilleure écrivait Jean de la Fontaine.

Il ne faut pas croire que c’est facile, ça demande une grande abnégation, être intelligent, méthodique, organisé. Je lis beaucoup, je me couche tard ou je me réveille tôt parfois les deux. Je bouffe du site technique, du blog pertinent, des commentaires assurés qui enrichissent mes arguments et me montrent déjà leurs limites. Je me déplace dans des événements, je suis présent, je marque mon territoire. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut bosser plus que les autres, mieux que les autres, tout le monde fait de la veille. Il faut en faire plus que les autres. Il faut pouvoir montrer qu’on est là depuis 20 ans, qu’on a été le premier, qu’on a participé au développement de la communauté ou d’un logiciel. Le must c’est d’écrire un livre.

C’est évidemment un avantage de travailler dans le domaine comme si on pouvait comparer une personne qui fait ça pour le plaisir (ou pour apprendre) et une autre qui fait ça tous les jours professionnellement. Quelle blague. Un professionnel aura toujours un cran au dessus dans la hiérarchie. Une aura particulière qui se dégage de lui quand il s’exprime. Il ne faut pas hésiter à montrer ses galons (adminsys, ingénieur, développeur depuis 10 ans), on parlera de nous et on se référera à nous. Nos médailles témoignent pour nous de notre valeur. Et puis ça permet d’éjecter les **petits**, ils savent à qui ils vont avoir affaire si ils montent sur le ring. Ils ne le feront pas.

Il vaut mieux savoir être patient, regarder comment ce petit monde fonctionne, voir ceux qui se dégagent du lot, noter ceux qu’on aura à abattre. Ce n’est pas du temps de perdu, on pourra les attaquer plus tard sur les arguments qu’ils ont déjà exposé et puis ça facilite les choses d’avoir de la bouillie intellectuelle à ingurgiter. On n’a pas à chercher, c’est là, on a juste à se pencher. On a aussi un bon aperçu du niveau qu’il faudra avoir, on aperçoit le niveau moyen. Il vaut mieux dès le départ être bien au dessus, les **petits** nous suivront bien plus docilement. C’est toujours une bonne chose d’avoir des roquets pour aller mordre les mollets du voisin. Pourquoi se fatiguer quand des imbéciles se proposent de démonter les arguments d’un adversaire ? Ils parleront de vous, ils vous mettront en valeur, ils vont venir chercher l’aval de leur maître. Tu auras un sucre mon grand. Toujours donner une récompense, ils se sentiront flattés, réconfortés dans leur ego, ils n’en seront que plus fidèle.

Il faut avoir évidemment une culture. Connaître les grands noms du domaine, c’est le minimum. Il vaut mieux assimiler sur le bout des doigts leurs discours, sortir des citations ça fait toujours son effet. Un bagage technique n’est pas suffisant, le discours doit être teinté de bonnes idées, d’arguments pertinents si possible de concepts qui font rêver : la liberté, le partage, la connaissance, le commun, la neutralité, la gouvernance partagée. Comment peut-on attaquer ces concepts dégoulinants de bons sentiments ? Ils sont inattaquables, une vraie projection de ce que souhaiterait l’humanité. Les toutous feront du tri dans les nouveaux arrivants soit tu rentres dans le rang soit tu vas morfler.

On a suffisamment réfléchi, il est temps d’agir maintenant. On a depuis longtemps identifié les sites porteurs, à forte audience. Il faut y faire sa place, poster des articles techniques pointus si possible avant tout le monde et qui feront référence. Et oui plus on partagera vos articles, plus on parlera de vous, plus votre influence augmentera. Quand ce sera le moment on montrera qu’on n’est pas que technique, qu’on a des idées pertinentes. On va commencer à avoir des suiveurs voire des abonnés (via les flux rss par exemple). C’est beau internet, même plus besoin d’aller convaincre les gens chez eux ils vont venir d’eux-mêmes à la source et nous suivre.

Le plus dur ce sera les vieux lions, ils tiennent la place et on vient disputer leur territoire. Attention aux coups de griffe, ça fait mal, il faut savoir encaisser. Mais ils vont vous reconnaître, ils vous feront une place parmi eux. On peut être en compétition et parfaitement se fréquenter voire s’apprécier. Penser qu’on peut arriver au sommet tout seul est tout de même un peu présomptueux. Il va y avoir des clans, des hiérarchies, des rivaux, des loups solitaires et même des corbeaux. Il va falloir jouer serré, tenir le terrain, bosser encore plus, faire allégeance puis trahir.

Il faudra faire attention de ne pas se retrouver isolé, ressasser le passé, parler des guerres qui ont eu lieu et des batailles gagnées. C’est le pire, la déchéance complète qui guette ceux qui ont prétendu au trône et qui ont échoué. Paria défroqué démontrant sans cesse qu’il a raison mais sans que plus personne ne l’écoute.

Finalement on sera là où je suis, sur le trône. D’un doigt je pourrai faire bouger les lignes, envoyer des fidèles convertir les nouveaux arrivants, traîner dans la boue des gens et des noms, diffuser mon discours et mes idées. On me craindra. La peur c’est quelque chose qui marche parfaitement pour que tout le monde reste à sa place. J’aurai la gloire, la satisfaction, les avantages, la grâce du devoir accompli. J’aurai eu raison de tous et même raison de la raison. Dire que certains voulaient juste partager des connaissances avec d’autres, c’est tellement dépassé, tellement candide, tellement simple.

Ou pas.

Déjà 9 avis pertinents dans J'aime avoir raison

  • J’ai tout lu, pour de vrai. C’est tellement rare sur des billets de cette longueur ! C’est vraiment passionnant, merci ! Avec ton billet sur les blogueurs, on dirait que tu nous présentes toutes les facettes des gars publics de l’internet ;)
  • cep
    Mode provoc : Oui, Cascador et Augier auraient très bien pu avoir écrit ce billet à tour de rôle, c’est bien un peu d’introspection parfois :) :) //
  • Augier
    Comme je l’avouais à Casca hier, ce billet me parle effectivement. J’avoue volontiers y retrouver certains de mes travers sans être quelqu’un d’uassi malsein que ce que décrit Casca. :D
  • Augier
    Rho, faut pas abuser non plus Cascador :p
    C’est juste que dada, c’est mon binôme à moi ! Mon black ops ! Et moi, chuis son dev ! :D
    Mais il s’y connaît beaucoup plus en réseau et en serveurs que moi, c’est pour ça que je t’ai dit que je lui demanderai ;)

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