A non-voté

À l’attention des lecteurs : Vous vous doutez bien que je vais parler d’un sujet extrêment sensible. Vous vous doutez aussi que la plupart des arguments à l’emporte-pièce qui existent contre mon choix, je les ai déjà entendus. Je tiens à vous prévenir que ce blog est équipé d’un système de validation des commentaires a priori que je n’hésite pas à utiliser. Si vous comptez commenter pour affirmer quelque-chose d’aussi peu réfléchi que « t’as pas voté, tu ne t’es pas exprimé alors ne te plains pas », passez votre chemin, le commentaire ne sera pas publié.

Mon ami de longue date Stéphane a publié sur son blog un billet dans lequel il exprime son avis sur le non-vote. Ses arguments sont très pertinants mais lui et moi savons que sur ce point, nous sommes inconciliables. :D

Alors ce week-end, je n’ai pas été voté. Il y a un an ou deux ans, si vous m’aviez demandé pourquoi, je vous aurait très certainement répondu un argumentaire très chouardien à base de démocratie et de non-démocratie. J’ai eu l’occasion de distiller ce même argumentaire dans plusieurs de mes précédents billets. Alors je vais exposer ici un point de vue beaucoup plus pragmatique, presque mathématique.

Une industrie de la politique

Nous avons en France, pour cette année au moins, 21 partis politiques représentés à l’Assemblée Nationale. En haut du classement, l’UMP et le PS représentent respectivement 274 et 199 sièges. À eux seuls, ils représentent 473 des 577 sièges de l’Assemblée Nationale, soit 82% de l’Assemblée Nationale. Le parti politique qui totalise le score le plus élevé après eux est l’UDI avec… 32 sièges…

Si l’on compare cette surreprésentation avec l’histoire de la cinquième, on se rend compte que le pouvoir s’est toujours partagé entre ces deux partis politiques à l’exception vaillante de Valéry Giscard-D’Estaing, qui est probablement le seul centriste de l’histoire de la politique à avoir réussi à avoir fait quelque-chose de sa carrière.

Le sujet de ce billet n’est pas de discuter de l’honnêteté et de la cohérence politique de chacun de ces deux partis mais de montrer qu’en dehors d’eux, il n’existe pas d’alternative. Il n’existe absolument aucune alternative car il n’y a aujourd’hui en France que deux partis qui ont les moyens financiers, la réputation et le poids politique pour présenter des présidentiables, id est, des personalités politiques avec une réelle chance d’être élue. Tout parti qui se présente en dehors de ces deux-là n’a aucune chance.

Lorsque je ne vote pas, j’accepte tout simplement une réalité statistique qui est que ma voix dans l’urne, si elle n’appuie pas l’un de ces deux partis, n’a absolument aucun intérêt et aucune conséquence.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Les néo-fas de tous bords — FN compris — vous répondront que c’est un complot, que c’est le système. Et ils n’auront pas tout à fait tort. Même si j’ai pu déjà exposer ce que je pense de la vision qu’à le FN du système, je suis obligé de reconnaître que la base du discours n’est pas faux. Il y a bel et bien un système corrompu et corruptif qui s’est placé à la tête du pays et qui s’auto-entretient, y compris dans l’élection. Comment est-ce possible ? Alors coupons court tout de suite aux théories complotistes : non, il ne s’agit pas de l’établissement d’un nouvel ordre mondial. Il s’agit tout simplement — on y revient toujours — d’une forme de lutte des classes entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l’on pas. Le documentaire Les nouveaux chiens de garde de Serge Halimi — journaliste au Monde Diplomatique — montre cela d’un manière très brutale :

Voilà, vous venez de prendre dans la gueule la raison pour laquelle seuls deux partis politiques sont en mesure de présenter des présidentiables : seuls deux partis politiques sont assez proches de l’industrie de l’information pour accéder à un temps de parole et à une audiance suffisamment large pour acquérir une réputation et un poids politique.

Le « droit » de vote

L’autre argument que j’entends très souvent dans ce genre de débat est celui de droit de vote. Un droit tellement important qu’il en deviendrait presque une obligation. Mais une obligation n’est pas un droit, n’est-ce pas ? Si j’ai le droit de vote, j’ai aussi le droit de non-vote, n’est-ce pas ? Est-ce à dire que si je ne vote pas, je ne m’exprime pas ?

Et que croyez-vous que je fasse sur ce blog ?

J’ai toujours eu beaucoup de mal avec cette idée qui veuille que le seul mode d’expression qui soit valable soit celui du vote. Je trouve ça assez peu cohérent avec l’idée de démocratie et si la démocratie devait se résumer au droit de vote, je me permettrais joyeusement de vous rappeler que la Chine et la Russie disposent d’élections tout à fait libres du droit de vote.

Alors les gens ont voté, une personne est élue. Cela doit-il signifier que l’on doive accepter inconditionnellement et sans réserve son programme et ses choix ? Si oui, nous devrions alors interdire le droit de grève et le droit de manifester puisque le droit de vote ne suffit pas. D’ailleurs, si le droit de vote se suffisait à lui-même, le référendum de 2005 sur le Traité Européen aurait eu des conséquences, n’est-ce pas ?

Et puis, en dernier ressort, il y a ceux qui affirment que des gens se sont battus pour le droit de vote.

Ces gens devraient avoir honte de dire ça et l’affirmer est cracher sur l’histoire et sur la Résistance de la manière la plus méprisante qui soit. Car dois-je vous rappeler qu’entre 1939 et 1945, la Résistance européenne a dû combattre un dirigeant élu démocratiquement par le droit de vote

Non, personne ne s’est jamais battu pour le droit de vote. Les gens se sont battus pour plus de liberté et plus d’égalité et il se trouve qu’ils étaient persuadés que le droit de vote était une solution. Cependant, le Conseil National de la Résistance n’était pas dûpe et c’est pourquoi, au sortir de la guerre, il tentera de mettre en place, au sein de l’Éducation Nationale, une Direction de l’Éducation Populaire. Inutile de vous dire que cette direction ne verra jamais vraiment le jour. L’objectif de l’éducation populaire est simple : celui de former des citoyens à la poliitique et au sens critique pour en faire des citoyens éclairés capables de faire des choix démocratiques conscients.

Car sans conscience, sans implication dans la vie politique et le débat publique, le vote du citoyen a-t-il encore du sens ?

Pour le reste, je vous invite à voir le documentaire J’ai pas voté qui explique tout ça plus en détail.

 

 

 

 

 

Déjà 12 avis pertinents dans A non-voté

  • Simple remarque. Puisque tu parles d’Adolf Hitler, il n’a jamais été élu, mais son score à la présidentielle de 1932 contre Hindenburg en avait un acteur incontournable de la vie politique de la moribonde République de Weimar.

    Au premier tour de l’élection de 1932, le futur dictateur allemand recueillit 30% des suffrages. Au deuxième tour (une triangulaire), Hitler obtint 36,7%.

    Donc dire qu’Hitler avait été élu est une incongruité historique. Hindenburg fut obligé de le nommer car il n’avait pas d’autres choix.

    Je voulais juste faire remarquer ce point précis. Hitler a fini par conquérir le pouvoir par les élections, mais il n’a jamais été élu.

    S’il est arrivé au pouvoir, c’est à cause de l’économie en récession suite au krach d’octobre 1929.

    C’est tout ce que j’avais à dire sur ton article. Désolé de faire mon maître Capello ici.

  • Lorsque je ne vote pas, j’accepte tout simplement une réalité statistique qui est que ma voix dans l’urne, si elle n’appuie pas l’un de ces deux partis, n’a absolument aucun intérêt et aucune conséquence.

    Peut-être qu’un vote blanc massif aurait un impact ?

    Moi je suis entre ton article et celui de Stéphane, parfois je ne vais pas voter parce je ne cautionne pas ce système et je ne veux pas lui donner une légitimité, je ne me sens représenté par personne, et mon vote blanc n’aura aucun impact. Mais parfois je me dis qu’il faut quand-même que j’y aille, pour manifester par mon vote blanc que je suis impliqué mais que personne ne me satisfait, et que si tout le monde faisait pareil, peut-être qu’il y aurait des choses qui changeraient.

  • sad
    « …. ta voté, si ta voté c’est qu’ t’avais le choix, alors alors, démerde toi !  »

    source : Une petit chanson vulgaire de Léo Féré
    http://dai.ly/x67ine

    “Il me semble que, au moins dans les sociétés occidentales riches, la démocratie et le marché libre déclinent à mesure que le pouvoir se concentre, chaque jour davantage, dans les mains d’une élite privilégiée.” [Noam Chomsky]
    source : http://www.noam-chomsky.fr/pepites/

  • pololasi
    Bonjour, je n’ai pas du tout la même vision que toi du vote.
    Par contre je n’ai aucune illusion, d’ailleurs dans le cas de scrutin à deux tours, je ne me déplace jamais au second tour et pour cause, ceux pour qui j’ai voté au premier tour n’y sont jamais.
  • Pour le « Droit de Vote » en effet, ce n’est pas une obligation.
    Sauf que, imaginons que si personne ne l’utilise ce Droit, rien n’empêchera une Autorité de le supprimer, puisqu’inutile :) (inutilisé).
    Donc je préfère me bouger le cul et me déplacer, quitte à voter « Blanc ».
    Les bulletins « blancs » sont décomptés.
    Donc j’utilise un Droit, et je montre qu’aucune personne ou aucun parti éligible via un second tour ne me propose de quoi gagner mon vote.
    A noter que le « vote républicain », c’est comme si un parti me disait : on ne t’a pas fait rêver avec nos actes et nos promesses, donc merci de voter X ou Y pour réparer nos propres conneries.
    Comme je ne suis pas si bête, je ne répare pas les bêtises des autres… et comme je me déplace, ma conscience citoyenne se porte doublement bien.
  • Moi je crois que certains ici ne lisent pas les commentaires :D
    Bon, en fait le seul truc dommage c’est que Cascador n’ai pas son propre blog.
  • Je te rejoins sur tous les points que tu soulèves.

    Je me déplacerais pour voter le jour oú :

    1) sera mis en place une assemblée nationale élue à la proportionnelle des votants (Sarkozy et Hollande l’ont promis mais les promesses n’engagent que ceux qui les croient…).

    2) sera mis en place un outil démocratique de révocation de nos élus

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