La vie est une pute

Ma philosophie, à moi, c’est que la vie est une pute. J’ai l’habitude de dire ça à mes potes, qui pensent toujours que c’est une boutade. C’est vrai que je le dis souvent sur le mode de la boutade. Mais je le pense vraiment : la vie est une pute.

Pour la plupart des gens, vivre est difficile, vivre est douloureux. On est en colère, on est triste, on déprime, on pleure. On souffre des râteaux, des séparations et des décès. Alors pour le gérer, on rationalise. Les philosophes ont leur technique et définissent la souffrance par rapport au bien être. On ne connaît le bonheur que parce qu’on a vécu le malheur. On n’est soulagé qu’après que la douleur est passée. Les personnes religieuses aussi, ont la leur. Il y a un plan, un dessein, une justice divine. Une personne qui fait du mal finira par être punie et une personne qui souffre pour aucune raison finira par être heureuse. C’est le karma.

Même les personnes qui se pensent strictement athées ne sont pas épargnées. Mon père, lui aussi, s’est demandé pourquoi lui, lorsqu’on lui a annoncé son carcinome pulmonaire incurable. Il est satisfaisant de s’imaginer le mériter lorsque quelque-chose de bien arrive. Et on se morfond dans l’incompréhension quand la tuile tombe. « J’ai pourtant rien fait de mal ». On appelle ça l’erreur fondamentale d’attribution.

Moi, je pense que tout ceci est parfaitement gratuit. La nature est cruelle et il n’y a pas de raison particulière à ça. Rares sont les animaux sauvages à ne pas mourir à cause d’un parasite, d’un virus ou d’une bactérie. Rares sont les prédateurs à anesthésier ou tuer rapidement leur proie avant de la bouffer. Mêmes les chatons mignons jouent à faire souffrir les souris avant de les manger. Ce que je sais de la nature, de la psychologie et de la sociologie m’a rendu déterministe. Je considère que nous n’agissont pas par libre-arbitre. Nous n’agissons que contraints par la somme des déterminismes qui s’exercent sur nous. La génétique, l’éducation, les conventions sociales sont autant de contraintes qui font agir d’une manière plutôt que d’une autre. Ce qu’il y a de bien, c’est qu’avec le déterminisme se dévoile l’inanité d’un mode de gouvernance basé sur la méritocratie. Les riches et les privilégiés ne méritent jamais leur position. Ils ont juste eu du bol. Ils sont juste bien nés[1].

Je pourrais devenir cynique et me dire que, puisqu’il n’y a pas de justice divine, autant en profiter le plus possible. Sauf que je suis, moi aussi, déterminé. Et je ne peux pas m’y résoudre. Alors je suis condamné à souffrir chaque fois que je vois un smicard exploité pour le seul bénéfice du Capital, une chômeuse en fin de droit broyée par une administration kafkaïenne dont le seul but est d’appliquer des mesures économiques ineptes, un étranger harcelé et tabassé par la police au nom de politiques totalitaires, un SDF qui mourra probablement de froid cet hiver dans l’indifférence générale ou une étudiante obligée d’habiter une cage insalubre parce que ses parents ne sont pas des bourgeois.

Chaque fois que je me sens moi-même seul, impuissant, inutile et excédentaire.

Alors je suis condamné à accumuler toute cette rage, toute cette tristesse jusqu’à ce qu’elle finisse par me rendre inéluctablement dingue.

Mais si, vous aussi, vous souffrez et que cela peut vous apporter le moindre réconfort, souvenez-vous que vous n’en êtes pas responsable. C’est juste que la vie est une pute.

Bonne année 2018.

Notes de bas de page :
  1. IAM est-il un groupe spinoziste ?

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