Les petites mains

Samedi j’étais debout très tôt, je me suis retrouvé à me promener un peu partout sur le web, surfer d’un lien à un autre et puis je suis tombé sur le blog de Mitsu. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas lu. Je me suis arrêté sur un excellent article de sa part J’ai perdu confiance (c’est à ce moment-là que vous arrêtez de lire le présent article et que vous allez lire celui de Mitsu avant de revenir ici).

Je suis globalement d’accord avec ce qu’il dit et il le dit très bien et je le remercie pour ce billet. C’est un beau et grand billet. Les commentaires sont aussi pertinents et intéressants, à la hauteur du billet.

Il y a cependant une chose qui me fait cogiter plus que les autres et qui est le fil conducteur de son billet, perdre confiance, perdre la foi dans ses idées, renoncer. Je vais être très très cash et direct.

On va dans le mur, ce n’est pas de l’ordre du peut-être, c’est de la certitude :
Les démocraties à l’occidentale surveillent leurs populations et cela dans des proportions qu’on n’avait encore jamais vu dans l’Histoire, je vous renvoie vers les grandes oreilles de la NSA (mais pas que) et vers ce lien entre autres
Les démocraties telles que nous les connaissons ne fonctionnent plus et elles n’ont pas en leur sein la capacité de se remettre en question et de se réformer. Je crois que c’est surtout cette idée qui m’empêche de me sentir concerné (et donc d’en discuter, débattre) par les sujets comme Hadopi, la loi de programmation militaire (et son article 20 voté le 24 décembre 2014), le Pacte Transatlantique sur le Commerce et l’Investissement (PTCI) et la politique de manière générale. On est en plein délire, point. Est-ce qu’il faut réellement débattre et argumenter des choix liberticides et complètement délirants de nos élites politiques ? Il faut convaincre de la liberté d’expression, la justifier ? Il faut réellement alerter des dérives sécuritaires ? L’Histoire ne contient pas assez d’exemples ? Ce paragraphe pourrait paraître bien vide mais si je commençais à énumérer toutes les absurdités que j’ai entendu ces dernières années et que vous avez entendu on n’y sera encore en décembre. C’est à nous simple citoyen de rappeler que ce n’est pas très très bien et pas très très logique dans une Démocratie d’activer le blocage de sites sans passer par un juge ?
– Je vous le dis comme je le pense, je me lève le matin et j’ai l’impression que nous citoyens devons nous battre pour que la Démocratie reste une démocratie. Le comble ! Nos élites politiques nous en éloignent chaque jour un peu plus. Est-ce que quelqu’un dans l’auditoire peut comprendre la mise en place de discussions et d’accords secrets pour ACTA/PTCI ? On croirait à une mauvaise blague, les élus que nous élisons pour représenter le peuple font leurs affaires dans notre dos et dans le plus grand secret. Mais what ? Et puis le PTCI, c’est pas le petit accord qui ne va rien changer à nos vies
– Il est aussi temps d’ouvrir les yeux. Edward Snowden a fait des révélations dépassant les pires craintes que l’on pouvait avoir, on n’a jamais vu ça, on va être clair, la réalité dépasse la fiction. Et vous avez vu un changement de comportements dans la population, des manifestations, des gouvernements qui ont démissionné ? Il est temps de le noter noir sur blanc, d’en prendre toute la mesure et de l’accepter : Tout le monde s’en fout. Globalement, il y a les Libristes, les informaticiens, quelques citoyens éclairés et les journalistes qui mesurent la gravité de tout cela. Le reste de la population ne comprends pas ou s’en fout. Le « niveau » de discussion à propos de ce sujet c’est « oui bah j’ai rien à cacher », « de toute façon qu’est-ce que tu veux y faire ? », « n’oublions pas que c’est pour nous protéger du terrorisme »

Globalement je reprend les idées de Mitsu mais je parle en mon nom uniquement bien sûr. Il note et écrit mieux que moi les nombreux dysfonctionnements qu’il a perçu. Ce que je veux dire finalement ? C’est qu’on est au fond du trou, vraiment. C’est qu’on marche sur la tête et qu’il ne faut pas s’attendre à une autre fin qu’à se prendre le mur. Quand il n’y a plus de logique, à quoi cela sert d’en chercher ?

Mais ce n’est pas le sujet de mon billet, ce n’est pas ce qui m’a donné à réfléchir. Ce qui me fait réfléchir, c’est quel comportement nous devons avoir par rapport à cela, quelles forces nous habitent, pourquoi continuer.

Et je vois :
– De l’intelligence, du courage, de la pertinence partout ! Les gens prennent conscience qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne plus, que l’humain doit reprendre sa place devant l’économie, que la consommation n’est pas une fin en soi et que partager les richesses est une voie saine et logique, que l’État et les élus doivent appartenir au peuple et sont à son service total, qu’il faut redonner du pouvoir et de la dignité à des journalistes dont le but est de critiquer tous les pouvoirs (politiques, religieux, économiques etc.), de les mettre en pleine lumière pour qu’un débat démocratique et constructif puisse se faire, que la Démocratie est à bout de souffle, que nous avons atteint ses limites et que nous devons penser maintenant à instaurer un nouveau système pour la remplacer
– Je vois des développeurs qui s’activent chaque jour pour nous donner les moyens de riposter, de nous organiser. Car l’outil informatique est devenu le plus important, celui qui va nous permettre de nous libérer d’un système politique dépassé ou au contraire de nous enchaîner. Le Libre a une place importante dans ce combat, il nous montre la voie pour nous affranchir des outils que nous utilisons. Pourtant n’oublions pas qu’il n’y a plus que Tor comme seul et dernier outil nous permettant encore d’être un peu caché des « grandes oreilles »
– Je vois des associations se monter, des cafés vie privée se tenir, des organisations défendre nos droits et nos valeurs
– Je vois des pointures, des mecs que je respecte qui ne font rien d’autre que parler, discuter, écrire puis finalement éveiller les consciences, changer le monde. Genma est devenu un crack en vie privée, Coreight partage ses découvertes juste pour son plaisir et celui de ses lecteurs, Cyrille critique et argumente, Christophe montre et démontre, Laurent nous héberge moi et Augier et fait profiter les autres de ses développements. Ces personnes sont des gens ordinaires, ils n’ont rien d’extraordinaire, ils ont juste choisi de s’exprimer, de débattre, aider, partager, remettre en cause. Ces personnes vivent et font vivre les idées qui nous habitent
– Je vois toutes ces petites mains affairées à faire leurs trucs, développer des logiciels et des outils libres, critiquer les dérives, remettre en cause les idées, partager leur savoir
– Les idées viennent du bas, viennent du peuple, la liberté d’expression, l’idée de Démocratie, de vie privée, c’est nous qui les portons, c’est à nous de les faire respecter et comprendre

Mais je vois aussi :
– Des gens qui s’en foutent que ça aille mal, des tonnes et des tonnes et des tonnes. Je ne les juge pas, chacun dirige sa vie comme il le souhaite. Mais d’autres finissent lasser par autant d’immobilisme, si peu de prise de conscience
– Des gens qui ne veulent pas entendre, échanger et éventuellement changer, bloquer dans leurs certitudes, bloquer dans leurs zones de confort
– Et puis les moqueries, les railleries, les critiques faciles et insultantes, les trolls érodent les certitudes, fatiguent les convictions, font douter de la voie qu’on juge juste de défendre et d’emprunter, énervent

Et finalement.

Samedi je me levais tôt déménager un de mes amis, départ à 07h30 pour 1h20 de route. Je me suis retrouvé avec les 4 mioches de mon ami en train de leur passer les cartons, leurs cartons de jouets, de dessins, d’affaires. 3 filles et un petit mec, pas un qui ne dépassait les 10 ans. Il fallait les voir, c’était un jeu mais c’était pas simple pour eux. Ils prenaient des cartons qui faisaient plus de la moitié de leurs tailles et qui dépassaient leurs têtes quand ils les portaient. Ils renonçaient sur certains car les cartons étaient trop lourds. Ils avaient peur de tomber dans les marches mais ils y allaient quand-même en faisant attention, avec la peur. Et là j’ai compris, ces gremlins m’ont mis à l’amende.

Ces petites mains en train de s’affairer, d’aider, de passer les cartons étaient en train de me donner une leçon de vie. En les voyant, je me suis dit : Pouvons-nous réellement renoncer ? Est-ce qu’il y a besoin d’une autre raison que l’avenir de nos enfants pour continuer ?


Je termine par deux citations (ça fait intello) :

À tous ceux qui veulent apprendre, il faut donner accès aux ressources existantes, et ce, à n’importe quelle époque de leur existence. Il faut ensuite que ceux qui désirent partager leurs connaissances puissent rencontrer toute autre personne qui souhaite les acquérir. Enfin, il s’agit de permettre aux porteurs d’idées nouvelles, à ceux qui veulent affronter l’opinion publique, de se faire entendre. Une société sans école, Ivan Illich. Citation trouvée ici et je vous conseille de vous intéresser aux scop et à l’ESS.

Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. Proverbe Malien.

Déjà 3 avis pertinents dans Les petites mains

  • Au final, nous rajoutons du bruit au bruit : nos paroles, blogs et actions localement ne changerons rien.
    Rien ne se décide ici bas : c’est dans les cercles du pouvoir que les (r)evolutions de palais peuvent s’effectuer.
    Regardons l’alternance UMP-FN de ces 30 dernieres années : c’est une mascarade dont nous sommes les pantins.

    La finance va bien, nos élus politiques se renvoient la baballe le temps d’une election et le peuple reste apathique devant la television et Facebook, tout en acceptant le nivellement vers le bas de ses droits, de son mode de vie et des services publics.

    Je ne vois pas d’alternatives a tout ceci.

  • Disant, Damien, que tout ça ne sert à rien, tu dis ton propre renoncement. Rien d’autre. Pour ma part, je ne crois pas que tout ça serve à rien. L’absurdité du monde est révoltante et la révolte pousse à l’action. Tu devrais t’interroger sur ton incapacité à agir. En clair : Il y a article et article, bruit et bruit. Je n’ai aucun doute en revanche sur l’inanité d’un billet torché à la va comme je te pousse pour changer quoi que ce soit dans l’ordre du monde.

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